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Page 83
�Un enfant apporte tout avec lui dans le monde. Que peut-on d�sirer
encore quand il commence � respirer, � crier, � ouvrir les yeux? Nous
n'avions ni chagrins, ni agitations d'aucune sorte; un calme saint �tait
descendu sur nos t�tes; nous ne vivions que pour l'enfant, dans l'oubli
absolu de nous-m�mes. Je voudrais vous peindre Luba �cartant sa pelisse
de fourrure pour donner � l'enfant le sein qu'il pressait de ses
mignonnes mains maladroites comme les pattes molles d'un petit ours, et
le sourire de cette jeune m�re, regardant tant�t moi et tant�t le cher
ange. Je restais l� tranquille devant eux comme � l'�glise, et mon coeur
�tait presque aussi recueilli. Ce berceau �tait maintenant notre monde,
et celui qui nous entourait, celui qu'on est convenu de trouver grand,
nous semblait bien petit en comparaison.
�Paul ne pleurait que rarement; il demeurait tranquille dans sa
couchette, qui se balan�ait sous lui comme un bateau sur l'onde, ses
grands yeux fix�s au plafond. Nous lui parlions sans cesse comme
s'il e�t pu tout comprendre, et il comprit bient�t en effet que nous
l'aimions plus que nous-m�mes, car il sourit en nous regardant, mais
aussit�t il referma les yeux comme s'il avait eu honte, le grave
personnage, de ce sourire! Et quand il pronon�a son premier mot, il nous
sembla qu'un miracle s'�tait accompli. Un enfant n'est-il pas, en effet,
un miracle, et n'op�re-t-il pas des miracles en nous? Il nous apprend
le renoncement, la bont�; il d�voile � nos yeux ce grand secret, que la
mort n'a point de pouvoir sur nous, car nous renaissons en lui.
�Cependant les jours allongeaient visiblement; la nuit, les chats
sauvages modulaient leur duo infernal qui ressemble � une satire contre
l'amour; les cigognes revinrent, les grues s'envol�rent vers le nord;
encore un peu de temps, et nous v�mes para�tre la premi�re hirondelle.
Les neiges s'�croul�rent avec fracas, mais ce bruit, apr�s celui des
rafales de l'hiver, avait quelque chose de joyeux comme celui du canon
saluant l'arriv�e d'un souverain. Et en v�rit� le souverain arrive
couronn� de rayons, un sceptre de fleurs � la main; les grandes noces
printani�res, universelles, commencent; un souffle d'all�gresse passe �
travers les for�ts; la plaine lointaine appara�t baign�e dans une vapeur
d'or; le coucou se fait entendre, une d�licieuse agitation s'empare de
toutes les cr�atures, le monde est plein de fra�cheur, de force et de
beaut�, comme il put l'�tre au lendemain du d�luge. Notre voisin, le
loir, s'est �veill�; � peine prend-il le temps d'�tirer ses membres,
et d�j� il pense � faire sa cour; les mouches dansent dans un rayon de
soleil; les rossignols sanglotent sous la feuill�e naissante; les fleurs
produisent l'effet d'une nouvelle neige: les arbres, les pr�s, tout
en est couvert; il n'est pas jusqu'au rocher qui ne brille jaune ou
blanch�tre. A l'heure chaude de midi, Luba s'�tend avec l'enfant
devant la porte de notre ch�teau sur une fourrure d'ours; hirondelles,
belettes, �cureuils, tous les animaux ont comme nous une famille, et ces
m�res fourr�es, emplum�es, luttent de soins et de tendresse envers leur
prog�niture, tandis que les m�les, sans exception, affectent une fiert�
comique. Quand Luba s'en va puiser de l'eau, ramasser du bois ou tendre
des lacets, le berceau de Paul reste suspendu � un arbre voisin, et le
vent balance notre enfant pour l'endormir: en s'�veillant, il s'amuse
avec les feuilles, ses yeux s'habituent aux jeux du soleil et de
l'ombre; la for�t lui tient des discours, myst�rieux pour nous, mais
auxquels ses vagissements semblent r�pondre, la for�t lui chante cette
antique berceuse qu'elle chanta aux premiers humains.
�Voici l'�t� avec ses ardeurs que temp�rent pour nous les brises qui
courent sur les cimes. Des orages fondent souvent � l'entour, grondant
au fond des ravins et transformant chaque gorge en un lac turbulent;
mais qui dira la splendeur des illuminations du soir, quand tous les
sommets s'embrasent au couchant, tandis que les oiseaux et les cigales
�clatent en concerts enivr�s?
�Paul grandissait � vue d'oeil; une semaine pour lui �tait ce qu'est
pour d'autres une ann�e; il �tendait la main, r�solu � saisir les
papillons, ou m�me la lune; ses ambitions n'avaient point de bornes; les
fleurs que nous lui donnions, il les portait � sa bouche; il embrassait
le chien-loup avec des cris de joie; chaque mot le faisait rire, d'un
rire inextinguible qui promettait de ressembler � celui de Luba.
�La nuit de la Saint-Jean vit flamboyer des feux sur toutes les
montagnes. C'est l'�poque des noces de l'ours. Alors il se nourrit de
miel, de glands et de framboises, montrant une extr�me douceur; l'amour
le civilise et l'am�liore. Un matin je trouvai sa trace dans notre
voisinage; quelques jours apr�s je l'aper�us lui-m�me occup� � gober des
racines comme un pieux ermite. Je le regardai, il fit de m�me. Un soir
enfin, nous avions allum� un feu devant notre porte pour cuire des
champignons sous la cendre. L'ours sort lentement de la for�t,
s'approche et s'arr�te devant le foss�. Je mets deux doigts dans ma
bouche et pousse un cri aigu. Il n'en tient pas compte, s'assoit, l�ve
sa grosse t�te, dresse ses petites oreilles et renifle; apr�s quoi il
grogne cordialement, nous tourne le dos et d�campe.
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