Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 81

�--Non, dit-elle, je ne puis te voir travailler comme un esclave, te
mettre en sueur et t'�puiser pour moi...

�--Pour toi, r�p�tai-je, et c'est justement ce qui me rend la t�che
facile! Tu ne sais pas combien il est doux de te servir!

�Dans le cours de mes travaux je d�couvris de vrais tr�sors: des vases
de terre, des fl�ches, des anneaux de cuirasse, des monnaies, mille
d�bris; je trouvai aussi, en brisant le rocher calcaire, de belles
pierres � fusil. Peu � peu le bois destin� � l'hiver s'entassa dans le
souterrain au dessous de nous; Luba, sans trop se fatiguer, d�tachait
l'amadou qui pendait au tronc des h�tres et des bouleaux, ramassait
des champignons, des myrtilles, des baies de toute sorte. Le soir, je
taillais de petits ouvrages en bois, des fourchettes, des cuillers; je
fis un peigne pour Luba; elle riait en le passant dans ses �pais cheveux
noirs:

�--Et un miroir? dit-elle; je n'ai pas de miroir!

�--Tu as la source en bas, et si tu ne veux pas descendre, ne suis-je
point l�? Tu peux me croire quand je te dis que tu es belle.

�Elle sauta sur mes genoux.

�Un loir, qui avait son g�te dans une fente du rocher, � l'entr�e de
notre demeure, devint bient�t familier; nous f�mes aussi la connaissance
d'un second h�te du m�me rocher, une belette, qui � midi sortait des
framboisiers de notre jardin, pour s'approcher de nous, puis s'�chapper
bien vite, comme si elle e�t voulu nous engager � jouer avec elle.

�Dans les broussailles qui remplissaient le foss�, un renard avait
creus� sa tani�re, et, de l'autre c�t� du pont, Luba salua, ravie,
l'existence d'un nid d'�cureuils qui lui rappel�rent son vieux Miki.
Tous nos voisins n'�taient pas aussi inoffensifs. L'hiver approchant, un
grand loup se prit dans un des pi�ges nombreux que je tendais autour de
chez nous pour �pargner la poudre.

�Le 3 novembre tomba la premi�re neige. Je sus le jour parce que j'avais
fait un calendrier tr�s-simple en marquant chaque journ�e � mesure
qu'elle s'�coulait sur la paroi du rocher; mais nous ne craignions rien
de l'hiver; dans notre garde-manger s'entassaient des sangliers, des
chamois, des cerfs, des li�vres, fum�s au geni�vre, et m�me un ours,
qui, avant de se d�cider � tomber sous le fusil de Luba, m'avait
assez cordialement embrass� pour me meurtrir. Nous avions du poisson,
d'excellentes truites, car d�sormais j'�tais au courant de toutes les
ressources de la for�t. Les peaux de mes victimes rempla�aient dans
notre antre les tapis, les couvertures, les rideaux absents; nous
dormions dans un nid de duvet: nos v�tements �taient ceux de deux
Esquimaux, mais personne n'�tait l� pour les trouver ridicules.
Emprisonn�s par les neiges, nous n'avions rien de mieux � faire que de
ressembler aux ours et aux loups parmi lesquels nous devions vivre.

�La saison des glaces se pr�senta, majestueuse et sublime comme la mort
qui, dans une bataille, fauche � la fois des milliers de combattants. La
nature s'endormit d'un long sommeil. Une nuit, nous entend�mes soudain
dans l'air un bruit �trange, des voix myst�rieuses accompagnant une
sorte de claquement comparable � celui d'un fouet. En pareil cas, nos
paysans croient que les sorci�res vont � Kiev, et l'Allemand jure que
c'est la chasse macabre qui passe. Luba eut peur et, cachant son visage
dans ma poitrine, demanda tout bas:

�--Qu'est-ce?

�C'�taient les canards sauvages qui venaient du nord, et dont les fortes
ailes, les cris stridents causaient tout ce vacarme dans les hautes
r�gions o� l'oeil ne les distinguait plus. Notre voisin l'�cureuil, qui,
lui aussi, avait fait ses provisions de glands, de pommes de pin et de
noix de h�tre, ne sortait d�sormais qu'� de rares intervalles; le loir
manifestait une extr�me inqui�tude.

�Un matin, le linceul de neige, qui ne d�g�le pas jusqu'au printemps,
enveloppe tout le pays de sa morne blancheur. Pendant trois jours nous
sommes prisonniers; il faut travailler terriblement pour r�ussir � nous
creuser une issue et un sentier! C'est le temps o� l'ours renonce aux
courses errantes, o� le h�risson s'engourdit dans sa caverne; le froid
augmente; mais, avec la premi�re grande gel�e, notre for�t reprend une
animation joyeuse: le bec-crois�, ce petit perroquet du Nord, se montre
par bandes, sifflant et d�ployant son �clatant plumage. Jusqu'� No�l on
a plus chaud sur la montagne que dans les vall�es, et on jouit de toute
la beaut� du paysage d'hiver; d'ailleurs, le cr�puscule m�me de notre
caverne avait son charme. La lueur du foyer se jouait sur les tentures
de peaux de b�te, et Luba, assise au coin de l'�tre, les pieds sur le
grand chien-loup qui ronflait de tout son coeur, me regardait d'un air
de tendresse, de contentement si sinc�re! Jamais nous n'avions �t� plus
unis, disons le mot, plus heureux.

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 26th Dec 2025, 7:23