Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 73

�Je respirai plus librement. Jadeski n'�tait qu'un indigne menteur.

�Quelques jours s'�coul�rent. Un soir que Gadomski, Urbanowitch et
plusieurs autres �taient chez moi comme de coutume autour de la table de
jeu, Jadeski me dit � l'oreille:

�--Tiens! o� a pass� G�d�on? Chez ta femme, sans doute. Il n'y manque
jamais.

�--Imb�cile! lui r�pondis-je, comment comprendrais-tu ma femme, toi qui
n'as jamais su appr�cier une madone de Rapha�l plus qu'un barbouillage
d'enseigne?

�Luba entrait au moment m�me en riant de tout son coeur:

�--Vite, vite, nous dit-elle; qui veut voir un oiseau rare, un oiseau
que j'ai pris?

�Tous se lev�rent pour la suivre, cartes en mains. Elle nous conduisit
jusque dans sa chambre.

�--O� est-il? demandai-je regardant autour de moi.

�--Ici.

�Elle montrait du doigt une grande armoire.

�--Je vous prie de regarder l�-dedans.

�Jadeski nous repoussa tous et regarda, curieux, par un de ces trous
grill�s qui font p�n�trer l'air dans les placards.

�--Mais c'est un homme!...

�--Un homme! Laisse-nous voir... Qui donc?... demand�rent les autres en
se rapprochant.

�--Gare � vous! c'est G�d�on! fit Jadeski stup�fait.

�--Comment es-tu entr� l�-dedans? demanda Urbanowich.

�Le prisonnier restait muet, d�vorant sa moustache.

�--Voyez, dit Luba, comme il est devenu taciturne, lui qui parlait si
bien tout � l'heure! Il jurait que j'�tais la plus belle femme du monde,
une V�nus; il me peignait sa passion, et puis, las de bavarder, il s'est
conduit brutalement comme un vrai Tartare...

�--Et vous l'avez repouss�? s'�cria Jadeski de plus en plus surpris.

�--Je me suis moqu�e de lui, naturellement, et comme quelqu'un passait
dans le corridor, j'ai dit: �--C'est mon mari! S'il vous trouve dans
ma chambre, vous �tes mort!� Il a �t� bien content de se jeter dans
l'armoire... Mais j'ai ferm� l'armoire � clef. Voil�!

�J'ouvris � G�d�on, qui ne paraissait pas press� de sortir et se cachait
derri�re les robes de ma femme. Nos amis le tir�rent dehors, et il entra
en fureur.

�--C'est une mauvaise plaisanterie. Canailles! vous m'en rendrez raison,
vous tous, et toi d'abord, heureux �poux d'une si farouche vertu!...

�--Lui d'abord, bien entendu! d�cida Urbanowitch.

�--Qu'ils se battent sans retard!

�Nos amis nous excit�rent si bien, que le duel aurait eu lieu s�ance
tenante, sans ma femme qui se posa entre nous et se mit � rire.

�--Vous battre? dit-elle, et pourquoi? Si quelqu'un est offens� ici,
c'est moi seule, oui, offens�e par les folles esp�rances de Monsieur.
Il est vrai que j'ai pris ma revanche; s'il n'est pas content et qu'il
veuille un duel � tout prix, me voici pr�te.

�Elle saisit une cravache accroch�e au mur.

�G�d�on disparut et Luba partit d'un nouvel �clat de rire qui nous gagna
tous.

�Chacune de mes amiti�s devait �tre bris�e brusquement d'une mani�re ou
d'une autre. Quand j'avais une fois vu clair, je ne me laissais plus
duper, je rompais avec une �nergie qui devait �tonner le monde o�
j'avais la r�putation d'un homme faible sur tous les points. C'�tait
une erreur. J'�tais lent � croire au mal, mais il ne me trouvait pas
mis�ricordieux. Naturellement, mes faux amis m'accusaient d'inconstance,
et leur animosit� � mon �gard �tait d'autant plus furieuse que mon
d�vouement avait �t� plus complet. Ils vinrent cependant comme je l'ai
dit, apr�s la vente de nos derni�res nippes, fumer autour de moi et me
donner des conseils:

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 25th Dec 2025, 13:03