Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 70

�Il fallait la voir conduire notre attelage de quatre petits chevaux
noirs sans les toucher du fouet, en les encourageant seulement de sa
voix claire: ils allaient si vite que la poussi�re nous enveloppait
comme un brouillard, � travers lequel nous apercevions par intervalles
un arbre, des granges, une ferme isol�e.

�Dans l'apr�s-midi, lorsque l'atmosph�re ensoleill�e �tait transparente
comme une muraille de cristal, j'avais l'habitude de p�cher. Je
m'asseyais au bord de l'�tang, sous un �pais bouquet d'aulnes dont les
branches formaient un toit au-dessus de ma t�te, et Luba se blottissait
� mes c�t�s. Les seuls bruits �taient ceux que faisait le poisson en
sautant; � travers les marais marchait lentement une cigogne; des
canards sauvages nageaient au loin parmi les roseaux. Luba pr�parait
les amorces, je jetais la ligne et chaque fois qu'un poisson �tait pris
c'�taient des transports de joie.

�L'hiver, une grande montagne de glace s'�levait derri�re la seigneurie;
l'acc�s d'un c�t� en �tait facile; on y montait par des degr�s pour se
laisser glisser ensuite sur l'autre flanc avec la rapidit� de l'�clair.
Tout �tait blanc: le ciel, la terre, les maisons, les arbres, m�me le
soleil. Il faisait froid, et pourtant tout respirait la gaiet�. Luba
s'asseyait dans le tra�neau sous ses fourrures, les joues rouges,
l'oeil brillant; je la conduisais; la glace sous nos pas lan�ait des
�tincelles. Les corbeaux nous regardaient gravement du haut d'un
peuplier, les moineaux piaillaient sur la cl�ture.

�C'�tait le beau temps des courses � cheval. Luba, avec sa longue jupe
d'amazone, sa jaquette garnie de martre et sa _kutschma_ de la m�me
fourrure sur la t�te, fortement fard�e par le froid, �tait l'image m�me
de l'entrain, de la fra�cheur et du courage.

�J'aimais m'attarder en arri�re pour la voir se balancer mollement en
selle; la gel�e poudrait ses cheveux, transformait la fourrure qui
suivait le contour de ses hanches en une garniture d'aiguilles iris�es,
�blouissantes, et faisait de son cheval noir un cheval gris. Et quelle
ivresse aussi de voler dans un tra�neau � travers le monde qui semble
bizarrement taill� dans du marbre blanc, tandis qu'un �clat fantastique
se r�pand sur toute la nature, que les arbres semblent fuir, tant est
rapide notre course, et que de loin nous suivent les loups!--Ma femme
m'accompagnait sans crainte � la chasse; elle ne connaissait pas le
danger; avec un sang-froid tout viril elle tirait la b�te que les
paysans poussaient vers nous. Je tuais des fouines superbes, des
renards, des loups, parfois m�me un ours.

�Les longues soir�es d'hiver, nous les passions au logis, dans la grande
chambre meubl�e d'un divan turc, d'un piano et d'un billard. Ma femme
faisait de la musique, je l'�coutais en fumant. Nous lisions les
journaux et quelques bons livres, en nous int�ressant, comme seuls
peuvent le faire deux solitaires, aux aventures de h�ros chim�riques;
puis nous proc�dions � la partie de billard. Luba gagnait chaque fois,
car, si elle regardait son jeu, moi je ne regardais qu'elle, comment son
buste �l�gant se penchait pour quelque coup difficile et comment elle
restait suspendue sur la pointe de son petit pied. Les sujets de
conversations ne nous manquaient pas; rien de ce qui m'arrivait n'�tait
indiff�rent � Luba, rien de ce qui concernait Luba ne me semblait
pu�ril; nous nous entretenions de mille choses auxquelles ne pensera
jamais quiconque m�ne une existence mondaine, et les questions de ma
femme eussent embarrass� maint philosophe. Je me remis donc en secret
� l'�tude; j'achetai des livres de science, m�me de m�decine, et nos
causeries � l'heure du cr�puscule devinrent une source toujours fra�che
de r�flexions et d'enseignement �lev�.

�Il nous arrivait encore de rester assis sans rien dire; ma femme
appuyait sa t�te sur mon coeur, je la tenais embrass�e, nous �tions
absolument heureux dans le sentiment de la possession mutuelle. Il est
vrai que la premi�re ann�e termin�e nous e�mes moins de loisirs; les
visiteurs firent irruption chez nous, et d�s lors il ne nous arriva que
rarement de passer une soir�e seuls.

�Mais j'insiste l� bien inutilement sur les plaisirs �vanouis; nous
sommes d�sormais pauvres et abandonn�s, la vente par autorit� de justice
se poursuit.

�A midi, elle fut interrompue: le crieur, les juifs, tous les assistants
s'�taient enrou�s au point d'avoir soif; ils s'en all�rent en masse au
cabaret.


III

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 25th Dec 2025, 6:14