Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 61

�--Quoi! disais-je � ma bonne, cette vilaine fourmi n'a-t-elle vraiment
rien donn� � la cigale?

�--Non, rien.

�--Pas un tout petit grain?

�--Non.

�Je me mis � pleurer. Eh bien! maintenant je suis aussi une pauvre
cigale qui a chant� tout l'�t�, pour ne rencontrer ensuite chez les
fourmis que des refus et de sages conseils.

�Certain petit m�nage en fer-blanc, que le crieur offre pour dix
kreutzers, �voque � mes yeux la figure d'une fourmi pr�voyante entre
toutes, et le souvenir n'est rien moins qu'agr�able. On parle beaucoup
des doux liens de la famille. Je sais par exp�rience que les fr�res et
les soeurs sont souvent des animaux d'esp�ces diff�rentes et ennemies,
r�unis dans la m�me cage, qui se montrent les dents, et que seul
le fouet du dompteur tient en respect. Des �tres qui se ha�raient
franchement en d'autres circonstances �changent des baisers de Judas
parce que le hasard de la naissance les a rapproch�s; entre eux le
combat est muet, il n'en est pas moins acharn�. Ainsi ma soeur a�n�e
Vi�ra �tait mon ennemie; la jalousie dut s'�veiller chez elle le jour
o� je vins au monde; elle ne pardonna jamais � l'intrus qui prenait
quelquefois sa place dans les bras de sa m�re, sur les genoux de son
p�re. Depuis, rien de ce qu'elle poss�dait en propre ne fut � son gr�;
elle voulut toujours de pr�f�rence ce que j'avais � la main; elle e�t
jet� sa poup�e pour m'arracher un f�tu de paille. Lorsqu'elle eut �t�
punie de ces violences � mon �gard, elle essaya de la persuasion;
c'�tait en me caressant, en me flattant qu'elle me soumettait � ses
volont�s ni plus ni moins qu'un esclave.

--Faisons la d�nette, Basilko, veux-tu?

Je ne demandais pas mieux, naturellement.

--Apporte du bois, fends-le, fais le feu.

Je coupai les brins de fagot et ma main en m�me temps; je fis du feu et
me br�lai les doigts.

�--Va chercher les provisions.

�Elle me mit ensuite un tablier blanc, me d�guisa en cuisinier, puis
s'assit comme une dame devant les friandises que maman nous avait
donn�es pour nos jeux et dit:

�--Sers-moi, tu mangeras plus tard.

�Elle me fit sur mon service de grands compliments, et ne me laissa pas
une cro�te. Telle �tait, telle est rest�e Vi�ra.

�La vente continue. Mon Dieu! une pile de livres poudreux!

�--Quarante kreutzers pour le tout! dit le crieur.

�Point de surench�re. Les voil� partis, ces vieux bouquins! Mon premier
livre de lecture, le petit cat�chisme que m'expliquait un bon pr�tre
dont je vois encore la tabati�re et les lunettes raccommod�es avec de la
ficelle. Un juif curieux feuillette un grand album d�chir�, un livre de
gravures, et mon coeur bat � se rompre devant cette profanation. J'ai
entrevu pour la premi�re fois une espi�gle figure de petite fille, brune
comme une boh�mienne, mais si jolie!... Et la petite boh�mienne est
assise aupr�s de moi, sur un escabeau pr�s du po�le; je lui montre les
images s�rieusement, ainsi que doit le faire un grave �colier de dix
ans, et elle se presse contre moi; tel un petit oiseau se presse contre
un autre dans le fond du nid. Elle est bien petite,--trois ans tout au
plus,--et d�j� elle se moque de son ami Basile. Sa voix a le son d'une
clochette d'argent.--C'est Luba, la fille d'un gentilhomme du voisinage,
elle, ma femme, qui aujourd'hui se tient l� debout contre la porte,
regardant vendre notre bien.

�Oh! l'affreuse journ�e! Mais j'en ai pass� de pires!...

�Quand on a grandi dans une maison, reprit lentement Basile Hymen, dans
une maison o� ont vieilli eux-m�mes les parents, les amis, o� chaque
meuble vermoulu fait partie en quelque sorte de la chronique de famille,
quand toujours les m�mes visages de vieux serviteurs, les m�mes b�tes,
les m�mes arbres, le m�me ciel vous ont entour�, on croit que tout cela
ne pourra jamais changer. Il semble qu'un charme protecteur soit jet�
sur cette demeure, qu'apr�s mille ans tout doive y �tre encore � la m�me
place. Comme j'aimais ma vieille maison! Dieu sait combien tendrement je
l'aimais!�

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Books | Photos | Paul Mutton | Wed 24th Dec 2025, 11:21