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Page 60
[Note 7: Factotum.]
�D�j� nous nous �tions d�faits de nos meubles pr�cieux; le jour vint o�
tout ce qui restait dans la maison devait �tre vendu. Une commission du
tribunal de Kolomea p�n�tra chez nous, la cour se remplit de l�vites
noires, vertes, bleues, grises et violettes, et moi, debout � une
fen�tre de ma pauvre seigneurie, je ne r�ussissais plus � retenir mes
larmes. Luba cependant �tait � c�t� de moi:
�--Sois un homme, dit-elle en me baisant sur les yeux.
�Et soudain elle se mit � rire comme si nous avions �t� au th��tre de
Lemberg, dans une loge, assistant � quelque com�die.
Basile Hymen fut interrompu ici par une voix qui entonnait non loin de
nous un chant m�lancolique: �O toi, ma ch�re �toile,--� l'obscure vo�te
du ciel--tu luisais si limpide,--lorsque je contemplai pour la premi�re
fois la vie!--Aujourd'hui, tu es depuis longtemps �teinte,--mes efforts
sont vains,--il faut que sans toi je parcoure--le vaste monde.�
Il �couta, sourit tristement, puis fit un geste de la main, comme pour
repousser des fant�mes, et continua:
�Non-seulement tout fut vendu, mais il me fallut encore conduire partout
les membres de la commission et la foule des acheteurs; il me fallut
revoir chacun des objets auxquels restaient attach�s de si tendres
souvenirs. Tous, � cette heure, me semblaient vivants; ils
m'imploraient, m'accusaient, ils me rappelaient le temps de mon enfance.
Il y avait certain pommier, par exemple; je le connaissais trop bien, je
n'osais lever les yeux vers lui, je voulais passer outre sans m'arr�ter
sous ses branches; mais soudain je vis distinctement mon p�re au pied
de l'arbre, mon p�re avec sa haute taille, son visage affable, un
Petit-Russe par excellence, aimant Dieu et sa famille, et n'ayant peur
de rien. Nous n'avions ni trop ni trop peu: une belle maison, un jardin,
des champs, des bois, des pr�s, un �tang, un moulin, bref tout ce qui
compose une bonne petite terre; mon p�re s'en occupait sans rel�che: du
printemps � l'automne, on le voyait vaquer � tout, surveiller tout, en
fumant sa grande pipe; l'hiver seulement, il se reposait en robe de
chambre au coin du feu, � lire des romans ou � jouer aux cartes avec les
voisins. Une fois, pendant le d�ner, il me vit jeter les p�pins d'une
pomme:--Ne d�daigne pas, me dit-il, ce qui est petit et ce qui peut
devenir grand � la longue.--Il me fit semer les p�pins, et, le jour o�
l'arbrisseau vint � poindre:
�--Souviens-toi, dit encore mon p�re, que nous l'avons plant� ensemble.
Si Dieu le veut, il te donnera de l'ombre et des fruits.
�H�las! cette ombre et ces fruits allaient �tre livr�s au plus offrant
avec le reste.
�Dans le salon, la commission �tait assise devant une longue table
recouverte d'un drap vert et autour de laquelle se pressaient les juifs.
On avait apport� de toutes les chambres et m�me du grenier les objets
les plus �tonn�s de se trouver r�unis, toutes les vieilleries m�me
�br�ch�es, disloqu�es, qui s'�taient longtemps d�rob�es aux regards. Sur
telle chaise � dossier �lev�, qui g�mit lamentablement lorsqu'un gros
fripier de Lemberg s'y assit, ma bonne m�re avait pass� sa vie � faire
ces �ternelles reprises qui �taient son occupation ordinaire; en m�me
temps elle nous racontait des histoires; sur cette chaise elle m'avait
pour la premi�re fois parl� de Dieu, elle m'avait appris � prier. C'est
une sainte relique, et un maudit juif l'emporte en �change de quelques
m�chantes pi�cettes.
�Et ce lot de jouets cass�s, quelle �loquence n'a-t-il pas! Le cheval
� bascule ne poss�de plus que deux pieds et une oreille, mais je le
reconnais bien, je sais que je l'ai re�u dans la nuit de No�l et que mon
p�re me l'a fait monter le lendemain matin. Avec quelle all�gresse je me
balan�ais, lorsqu'un juif en cafetan de soie garni de fourrure ouvrit
timidement la porte pour nous souhaiter d'heureux jours de f�te. Il me
prit dans ses bras, et, de mes deux petites mains, je saisis en riant
sa longue barbe noire. Je n'ai pas oubli� ce moment. Le digne Salomon
Zanderer ne l'a jamais oubli� non plus. Ce sourire m'ouvrit soudain son
coeur, et d�s lors il m'y fit une place aupr�s de ses enfants, ce qui
veut dire beaucoup, car, pour un juif, ses enfants sont tout. Bien
souvent, depuis, il m'a berc� sur ses genoux en me racontant les belles
paraboles du Talmud, o� le proph�te �lie jouait toujours un grand r�le,
de m�me que dans les r�cits de ma m�re, il �tait toujours question
d'Ivanock, le paysan rus�, intr�pide et patient de notre Petite-Russie.
A propos de r�cits, je me rappelle certaine fable que m'a racont�e ma
bonne et dont j'ai eu tort peut-�tre de d�daigner l'enseignement. Il
s'agit de la cigale et de la fourmi.
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