Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 58

--Eh bien! l'affaire est arrang�e, dit-il aux paysans avec un sourire
satisfait.

Il s'assit sur le banc aupr�s d'eux et reprit:

--Une fois de plus, les biens de ce monde ont failli diviser deux
personnes faites pour s'entendre: la propri�t� n'est qu'une source de
chagrins, de querelles!

--Croyez-vous donc les pauvres plus heureux que les riches? lui
demandai-je.

Il me r�pondit d'un air affable:

--Si vous entendez par pauvres ceux qui souffrent de leur pauvret�, non,
sans doute, monsieur le bienfaiteur; mais les gens vraiment heureux sont
ceux qui, n'ayant pas de biens, ne souhaitent point d'en avoir.

--Existe-t-il de ces gens-l�?

--Regardez-moi. Je ne poss�de rien, pas une obole, et je gage qu'il n'y
a pas d'homme plus heureux que Basile Hymen dans toute la Gallicie,
peut-�tre dans toute l'Europe.

--Je vous serai reconnaissant de nous expliquer...

--Volontiers.

Prenant un charbon enflamm�, il l'appliqua sur sa pipe et se mit � fumer
majestueusement comme un pacha:

--Je voyage � la fa�on du Juif errant, ce qui me permet de voir,
d'entendre bien des choses. Par exemple, je me repose chez un seigneur;
une heure apr�s, je suis dans le cabaret d'un Juif; le soir, je couche
sous le toit d'un Arm�nien; demain, ce sera peut-�tre � la belle �toile,
en compagnie de vagabonds. Vous comprenez qu'ainsi j'ai toute facilit�
pour plonger dans le coeur humain; mon emploi m�me m'y aide; les �mes
se mettent nues devant moi comme elles ne le feraient ni devant le
confesseur ni devant le m�decin, car la propri�t� est plus pr�cieuse
que la sant�, plus pr�cieuse que le salut, et c'est moi qui aide � la
d�fendre. D�s qu'il s'agit de sa propri�t�, croyez-moi, l'homme devient
un tigre. Tenez, la preuve... J'ai log�, il y a quelques jours, chez
un petit employ� du chemin de fer. Il se mourait, le malheureux, d'une
maladie de poitrine. Au premier coup d'oeil, je me rends compte des
choses: une femme dans la maison, une femme qui n'est pas l�gitimement
la sienne, et deux marmots qui seront � la mendicit� d�s que le p�re
leur manquera. Une triste situation, n'est-ce pas? La femme pleure,
se tord les mains, implore tous les saints du calendrier. Les enfants
jettent les hauts cris. Rien n'y fait, l'homme meurt. Aussit�t cette
femme, qui l'avait aim� assez pour devenir sa ma�tresse, se l�ve, s�che
ses larmes, et son premier soin, avant de fermer les yeux du d�funt, est
de s'approprier tout ce que la maison renferme de quelque peu pr�cieux.
Elle ne perdait pas un instant, h�las! C'�tait bien naturel, et,
justement � cause de cela, horrible. Nommons ce sentiment comme vous
voudrez, puisque les hommes pr�tendent, manie bien vaine, donner un nom
� tout: nommons-le instinct de la conservation ou autrement, je vous dis
ce que j'ai vu; chacun n'a souci que de soi-m�me, et de ce souci �go�ste
na�t la propri�t�.

Nous assurons notre avenir aux d�pens d'autrui; nous luttons pour notre
propre existence, et dans ce combat le plus faible succombe. Entre
les arbres de la for�t, il en est de m�me. Les forts font la loi aux
faibles; nul ne songe � m�nager le prochain; chacun songe fort bien, en
revanche, � se pr�server soi-m�me, et c'est pour satisfaire ce besoin de
s�curit� personnelle que les hommes ont conclu entre eux une sorte
de trait� d'o� �manent l'�tat, les lois, la morale. Depuis que cette
convention est faite, les voleurs, les brigands sont punis, mais le
premier qui s'est taill� un bien particulier dans le bien commun
n'�tait-il pas un voleur? Ce sont donc des petits-fils de criminels qui
font un crime aux victimes de leurs anc�tres de reprendre la moindre
parcelle de ce qu'on leur a d�rob�. Le monde est absurde. Veuillez y
r�fl�chir. Vous serez de mon avis.

--Voil� un sermon, ma foi! exclama Gabris, enthousiasm�. On n'en entend
pas de pareils � l'�glise! Continue, Basile Hymen, continue, mon ch�ri!

--Enfin, reprit le procureur clandestin retirant sa pipe de sa bouche
et me regardant de son oeil doux, si nous creusions la question plus
profond�ment, nous verrions que quiconque poss�de la moindre chose
tremble de la perdre, que le couteau de celui qui n'a rien est
incessamment sur sa gorge, que l'avidit� d'acqu�rir davantage le
tourmente jour et nuit, g�tant jusqu'aux r�ves de son sommeil. C'est
pour cela que je soutiens qu'il vaut mieux �tre pauvre et n'attacher son
coeur � aucun objet p�rissable. Rien en ce monde n'appartient r�ellement
� l'homme; il est plut�t l'esclave de ce qu'il poss�de, que ce soit de
l'argent, une femme ou une patrie. Ne vous m�prenez pas, je vous prie,
sur le sens de mes paroles. Mieux vaut n'avoir ni femme ni enfants,
parce que l'amour de la famille n'est que l'�go�sme doubl�, d�cupl�
selon les circonstances. On veut l�guer ses richesses de m�me qu'on
l�gue son esprit, sa taille, sa figure � ses descendants, comme s'il n'y
avait pas assez de ce que le pr�sent nous apporte, sans tous ces soins
de l'avenir!

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Books | Photos | Paul Mutton | Wed 24th Dec 2025, 2:20