Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 54

De l'autre c�t� de la chemin�e �taient assis sur un banc trois paysans
qui pouvaient repr�senter les trois degr�s de la vie. L'un, � moustaches
et � cheveux blancs, ses chausses de toile retenues par une ceinture
brune, la t�te et les pieds nus, �tait �videmment le propri�taire du
lieu. � c�t� de lui se trouvait un vigoureux gaillard de quarante ans,
h�l�, une pipe � la bouche, v�tu d'ailleurs comme le vieillard, mais
avec des bottes et un chapeau de paille qu'il avait d� tresser lui-m�me;
c'�tait sans doute un voisin. Le troisi�me �tait un beau jeune homme
habill� de drap brun et portant sur sa t�te boucl�e un bonnet de peau
d'agneau noir, � la mani�re persane; celui-l� �tait sans doute quelque
h�te �tranger. Aupr�s d'eux, mais leur tournant le dos, tr�nait sur un
coffre de bois peint, avec la majest� d'une tzarine, une jolie femme de
trente ans environ, au petit nez impertinent dans un frais visage, aux
l�vres rouges moqueuses et aux yeux gris d'un calme �trange sous leurs
�pais sourcils noirs. Elle portait de hautes bottes, une jupe bleue et
rouge, une chemise brod�e, des grains de corail au cou, une pelisse
blanche en peau d'agneau et un mouchoir de t�te bigarr�. Une autre femme
plus �g�e, � la physionomie avenante et douce, faisait la cuisine sur un
feu qu'activait certaine grande fille maigre, l'air affam�. Deux
jeunes gars s'appuyaient contre le mur; un gamin de huit ans enfin,
sommairement couvert d'une chemise, s'occupait, assis sur le sol de
glaise battue, � tailler un sifflet de sureau qu'il essayait de temps �
autre pour en tirer le cri d'un cochon de lait.

L'homme que j'avais failli renverser devant la porte et qui maintenant
examinait tranquillement mon fusil, en connaisseur, �tait apr�s tout la
seule figure vraiment remarquable de ce cercle. Figurez-vous un oiseau,
une �me d'oiseau dans un corps humain. Le profil ac�r�, les yeux ronds,
clairs, p�n�trants et caves, des bras qui s'agitaient comme des ailes,
la d�marche d'une alouette courant et sautillant sur la terre labour�e,
une voix aussi claire que celle du chanteur emplum� qui p�pie dans
l'aub�pine.

Ces braves gens me salu�rent, chacun � sa mani�re, les hommes en se
levant et en se d�couvrant la t�te, la jeune femme en montrant deux
rang�es de dents �blouissantes, l'homme � figure d'oiseau en me baisant
l'�paule. Nous autres, Petits-Russiens, nous sommes un peuple de
bavards; aussi ne manquai-je pas d'entamer l'entretien par les questions
de rigueur sur l'�tat de la r�colte. Puis, je demandai au vieux paysan
combien il avait d'enfants. Le vieux appuya le menton sur sa main,
poussa un soupir, se mit � compter sur ses doigts et dit enfin, en
d�signant le petit gar�on qui taillait un sifflet:

--Voil� le dernier.

--Quel �ge a-t-il?

Le bonhomme se livra aux m�mes manoeuvres, mais cette fois sans trouver
de r�ponse.

--Et l'a�n�?...

--L'a�n�? Eh bien! Waschko, quel �ge as-tu? Dis-le, ne te g�ne pas.

Waschko sourit sans plus parler qu'une carpe.

--Avez-vous beaucoup de b�tail? avez-vous des chevaux? poursuivis-je.

Le visage du paysan s'illumina. Se levant � demi, puis se rasseyant, il
r�pondit avec volubilit�:

--Je remercie monsieur le bienfaiteur; feu mon p�re avait deux chevaux
et une vache; quelques poules aussi couraient par-ci par-l�; mais,
depuis que la servitude est abolie, nous avons, Dieu merci, quatre
chevaux ronds comme des porcs et deux boeufs de Hongrie, vous savez ces
boeufs � grandes belles cornes, et cinq vaches; l'une d'elles vient
de Suisse; elle est blanche � taches noires, elle aura quatre ans �
l'Ascension.

Ce r�cit hom�rique fut interrompu par l'entr�e d'un homme �g� dont
l'habillement se rapprochait de celui des gens de la ville. Ce nouveau
venu �ta son chapeau, qui ruisselait comme une goutti�re, et approcha
ses mains de la flamme du foyer.

--Vous voici donc de retour? lui dit notre h�te avec un plaisir �vident.

--Bien mouill�, sans doute? ajouta la vieille femme d'un air de
sollicitude.

--Mais non, tr�s-peu, r�pondit l'�tranger,--et son accent trahit
aussit�t pour moi l'homme bien �lev�;--lorsqu'a commenc� cet affreux
orage, j'�tais justement chez le juge; l�, j'ai appris que Russine �tait
dans votre maison, et j'accours.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 17:09