Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 47

Z�nobius s'empressa de lui baiser la main. Son bagage fut vite
transport� � la seigneurie; il tenait tout entier dans un vieux
mouchoir. En cinq minutes, il eut pris possession du r�duit qui lui
�tait assign� au rez-de-chauss�e, suspendit un petit crucifix et le
portrait de sa m�re au-dessus de son lit, glissa un exemplaire us� de
_Faust_ sous son oreiller, puis, assis sur un escabeau, les deux mains
appuy�es sur ses genoux, il sourit et respira profond�ment. La mis�re
�tait conjur�e.

Au premier d�ner, il se br�la bien un peu les l�vres, tant il avait h�te
d'apaiser les d�chirements de son estomac vide; mais, cette faim f�roce
une fois satisfaite, Z�nobius reprit les mani�res polies dont il avait
eu l'habitude. On e�t dit que chez lui le gentilhomme se r�veillait d'un
profond sommeil. En m�me temps, il se rendait utile de tout son pouvoir,
et naturellement la baronne abusait de cette bonne volont� toujours
alerte, toujours souriante. Si, vaincue par une superstitieuse terreur,
elle lui avait donn� asile, ce n'�tait pas pour le laisser ensuite
manger son pain dans l'oisivet�. Elle l'envoyait donc aux champs, au
march� vendre le bl�, surveiller les coupes de bois, vaquer aux soins
de la basse-cour et du jardin; Z�nobius recollait les meubles cass�s,
mettait les pantoufles � sa tante, jouait au piquet toute la journ�e
sans autre enjeu que des f�ves. De temps � autre, il se d�dommageait de
cette suj�tion par quelque espi�glerie.

Je me rappelle avoir assist� � l'une des meilleures. J'avais �t� invit�
� d�ner chez la baronne avec un pr�tre grec du voisinage et la famille
de ce dernier. Au milieu de la table se trouvait une grande tarte
magnifiquement garnie qui datait, je crois, des noces de Warwara, et qui
toujours �tait report�e intacte au garde-manger. Quelle fut l'�motion de
notre h�tesse en voyant Z�nobius offrir galamment de la tarte � Cl�opha,
la fille a�n�e du pr�tre? Saisissant un grand couteau, il porta au
pr�cieux objet de parade un coup si vigoureux que l'un des morceaux alla
frapper au front, comme une pierre, le digne pr�tre effray�. Plus tard,
celui-ci en rit avec nous, car il �tait impossible d'�tre d'humeur plus
d�bonnaire qu'Athanase Kmietowitch. Le neveu de la baronne s'�tait
attach� � lui d'une affection sinc�re, peut-�tre parce qu'il �tait le
p�re de la belle Cl�opha.

Chaque fois que j'avais rendu visite � la seigneurie, Z�nobius me
prenait par le bras pour m'entra�ner au presbyt�re. C'�tait une humble
demeure; nos paroissiens de la Petite-Russie ne sont pas riches. On e�t
dit un nid d'hirondelles coll� � la vieille �glise, et comme dans un nid
d'hirondelles, en effet, jeunes et vieux, �troitement serr�s les uns
contre les autres, gazouillaient gaiement du matin au soir. Le pr�tre
disait sa messe, pr�parait son sermon du dimanche, faisait tout
tranquillement ses bapt�mes, ses mariages, enterrait ses morts, et pour
le reste abandonnait le monde au sage gouvernement de la Providence,
sans se soucier de la politique ni d'aucune des questions br�lantes qui
troublent la digestion des gens moins bien avis�s.

Athanase Kmietowitch n'�tait qu'un paysan, mais un paysan lettr�, qui,
en revenant des champs, copiait d'une belle �criture des livres qu'il
�tait trop pauvre pour acheter et se tenait ainsi au courant de toutes
les d�couvertes de la science, de tous les progr�s de la philosophie.
Tr�s-simple, indiff�rent aux grandeurs, aux richesses, il ne v�n�rait,
apr�s Dieu, que deux choses: la science et sa femme. Madame Sophronia
Kmietowitch �tait ador�e, choy�e sans cesse, comme l'est seule une femme
de pr�tre grec. Celui-ci, en effet, ne peut se marier qu'avant d'�tre
d�finitivement consacr� au Seigneur, et, s'il devient veuf, les ordres
qu'il a re�us lui d�fendent de convoler en secondes noces. Aussi quelle
terreur a-t-il de perdre la m�re de ses enfants! Il suffisait que madame
Sophronia d�t: �Si tu me contraries, je vais maigrir...� pour qu'il
ex�cut�t toutes ses volont�s. Pourtant madame Sophronia aurait pu
perdre sans inconv�nient une partie de son embonpoint vraiment turc.
Compatriote de cette autre fille de cur� petit-russien, Anastasie
Lyssowsky de Rohaty, en Gallicie, laquelle, sous le nom de Roxelane,
gouverna tout l'empire ottoman, elle avait ce m�me petit nez retrouss�
qui fit de Soliman le Grand l'esclave de son esclave, ce petit nez mutin
qui trahit tant de caprice, de force et de passion r�unis.

Cette femme de quarante ans, magnifiquement �panouie, et les quatre
enfants qui l'entouraient, ne faisaient pas mentir le proverbe qui veut
que la beaut� soit l'apanage de toutes les familles de pr�tres grecs en
Gallicie. Je m'aper�us bient�t que l'une des jeunes filles, Cl�opha,
une grande blonde au teint blanc et lisse comme l'hermine, et aux yeux
couleur de violette dont le regard vous ouvrait tout un monde na�f
et po�tique comme celui de nos contes populaires, �tait l'objet des
attentions respectueuses, mais incessantes, du brave Z�nobius. C'�tait
pour la voir qu'il m'entra�nait au presbyt�re, n'osant plus y retourner
tout seul, dans la crainte que la sollicitude maternelle de madame
Sophronia ne s'alarm�t.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 2:15