Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 42

--Il y a l� deux fois plus que tu ne me dois.

Un instant le fermier la regarda stup�fait, puis sa bouche s'ouvrit
lentement, ses yeux suivirent le mouvement de la bouche, tous ses traits
exprim�rent une rage comique. S'approchant d'elle avec emportement:

--Faites-moi la gr�ce, madame, de me donner un soufflet.

--Pourquoi?

--Ne me le demandez pas. Je veux un soufflet de votre main; ou bien,
peut-�tre, ce jeune seigneur aura-t-il piti� de moi et m'en donnera-t-il
un?

--Qu'est-ce que cela signifie?

--Cela signifie... J�sus! Marie! Joseph! que j'ai fouill� dans la
mauvaise poche. Oh! boeuf que tu es!

--Qui appelles-tu boeuf!

--Moi, parbleu! et je voudrais voir qu'on ma sout�nt le contraire. Faire
de pareilles b�vues!... Triple sot! va!

--Voil� vos bons paysans, me dit Warwara. Il a les poches bourr�es
d'argent, et il pr�tend que les temps sont durs! Faut-il m�nager de
pareils fripons?

Elle n'avait pas besoin d'excuse pour ne point les m�nager.

Un autre des fermiers avait le tort de lui porter sur les nerfs par
son seul nom. Il est vrai que le pauvre homme se nommait
Petschenischintschenko. Le nom �tait difficile � prononcer; se le
rappeler seulement �tait une grosse affaire; aussi pr�tendait-elle qu'il
s'en servait comme d'une sorte de cachette pour esquiver r�clamations et
poursuites.

--Si je veux lui envoyer Martschine ou l'huissier, je ne retrouve plus
ce diable de nom et je suis oblig�e de recourir � la description:--Tu
sais bien, ce grand paysan en sierak brun[1], avec un bonnet en toison
d'agneau noir?--Beau signalement! Il y a aux environs cinq cents paysans
de grande taille en sierak brun, et deux cent cinquante au moins en
bonnet de peau d'agneau noir!

[Note 1: L'habit des paysans petits-russiens.]

La baronne finit cependant par saisir le pauvre Petschenischintschenko
et par lui tirer lentement les plumes comme fait le vautour du moineau
qu'il tient dans ses serres. Peu � peu, elle lui prit ses boeufs, ses
chevaux, ses vaches, ses pr�s, ses champs et jusqu'� sa chaumi�re, sans
se h�ter et avec d�lices, comme s'il se f�t agi de d�tacher l'une apr�s
l'autre les syllabes de ce nom interminable qu'elle n'avait jamais pu se
r�soudre � prononcer, jusqu'� ce qu'il ne rest�t plus qu'un mis�rable
monosyllabe, un _rien_ tout sec, v�tu de guenilles, nu-pieds, et
cherchant sa consolation dans l'eau-de-vie.

Un soir, en descendant le perron pour aller faire une promenade, nous
nous trouv�mes face � face avec ce pauvre h�re. La baronne, craignant
peut-�tre quelque violence, fit mine de rentrer, mais il avait d�j�
saisi la manche de sa kazaba�ka[2] et y appliquait ses l�vres, qui
laiss�rent une large tache sur le velours rouge:

--Ne te sauve pas, ma colombe, s'�cria-t-il; r�jouis-moi par ta vue, par
tes discours qui coulent comme le miel!

[Note 2: V�tement de femme garni et doubl� de fourrure.]

--Je crois que cet homme est ivre! s'�cria Warwara.

--Pas du tout, r�pondit-il.

Et en effet le malheureux �tait � jeun. Il ne tr�buchait ni ne b�gayait;
ses yeux n'avaient pas cette faible lueur propre aux yeux d'ivrogne;
seul, son nez brillait rouge-fonc� comme une lampe qui s'�teint.

--Il faut que je te remercie, ma bienfaitrice, s'�criait
Petschenischintschenko avec un m�lange d'enthousiasme et d'ironie, je
te dois la libert�, le plus grand des biens. Oui, tu m'as d�livr�!
Qu'est-ce que l'argent en effet? Rien! Rien qu'un souci, un fardeau! Tu
m'en as d�barrass� avant le grand voyage qui nous force tous, t�t ou
tard, � y renoncer. Tu m'as donn� la libert�. Il faut que je t'embrasse.

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Books | Photos | Paul Mutton | Mon 22nd Dec 2025, 16:11