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Page 38
Je trouvai madame Bromirska belle encore pour son �ge; elle n'avait
perdu ni ses cheveux, toujours fris�s avec art, ni ses dents sans
d�faut; il lui restait m�me une certaine fra�cheur � laquelle le fard
contribuait sans doute, mais son visage avait pris avec l'�ge une
�trange expression de m�fiance et de m�chancet�.
Deux plis profonds allaient des coins de sa bouche au bas du menton,
dessinant ce qu'on e�t pu prendre de loin pour une sorte de moustache
sarmate. Ses yeux brillaient comme le tranchant d'un couteau; en v�rit�,
ils se plongeaient dans votre coeur ni plus ni moins que le glaive le
mieux aiguis� pour diss�quer ce coeur sans mis�ricorde; mais, ce qu'il
y avait de plus remarquable en elle, c'�tait sa toilette. Je n'en avais
jamais rencontr� de pareille; �videmment elle portait, pour m�nager ses
robes neuves, des vieilleries du pass�, des vieilleries d'apparat: une
mantille de velours bleu qui laissait la ouate s'�chapper aux coutures,
une vieille robe rose d'o� pendait un falbalas, d�cousu peut-�tre dans
un bal par le pied de quelque cavalier maladroit, il y avait de cela
vingt ans et plus. Sur sa t�te �tait pos� un fez turc, et la finesse de
ses pieds se perdait dans de grosses pantoufles en feutre.
Je lui dis d'abord le chagrin que m'avait fait �prouver l'abatage de sa
magnifique futaie, en cherchant � lui persuader que ce sacrifice �tait
mal entendu, m�me au point de vue de l'�conomie.
Elle tira une longue bouff�e de sa cigarette:
--Oh! r�pliqua-t-elle, je sais tout cela, mais je sais aussi que je ne
vivrai point �ternellement. Je veux donc jouir de mes biens tandis que
je vis. Ce n'est pas l'abatage de ma futaie qui vous am�ne. En quoi
puis-je vous �tre agr�able?
Tirant de ma poche la feuille de papier o� s'alignaient d�j� plusieurs
souscriptions, je me mis en frais de rh�torique.
Elle sourit, un peu embarrass�e.
--Je veux bien contribuer � cette oeuvre selon mes moyens, dit-elle
enfin. On m'a d�j� parl� de votre peintre; je ne doute pas de son
g�nie, mais, pour parler franchement, ce g�nie, ne craignez-vous pas de
l'�touffer?
--Ah! madame, vous ajoutez donc foi, vous aussi, � cette sotte redite
que le talent ne grandit que dans la mis�re? Il est prouv� cependant que
les plus grands esprits ont �t� ceux que ne tourmentaient pas le besoin
de produire pour satisfaire aux n�cessit�s vulgaires de la vie.
--C'est possible! r�pondit-elle en cherchant dans ses poches quelque
menue monnaie de cuivre; puis elle prit la feuille, s'approcha du
secr�taire, �crivit deux ou trois mots qu'elle s�cha au moyen d'une
pinc�e de sable prise dans le crachoir, compta et se relut encore une
fois, puis me rendit en soupirant la liste, plus cinquante kreutzers.
--Tout ce que je vous demandais, c'�tait de me dire si le jeune homme
�tait vraiment digne de notre compassion, de nos secours. Vous �tes-vous
bien assur� de sa reconnaissance? Vous paraissez avoir un bon coeur. Les
gens en abuseront souvent.
Elle se laissa retomber n�gligemment sur le sofa aupr�s de moi:
--Quand on montre tant de sensibilit� � propos de quelques m�chants
arbres, qu'est-ce que cela doit �tre, bon Dieu, quand il s'agit d'un
homme! Permettez cette observation � une vieille femme: je ne vous
crois pas un gar�on pratique... eh! eh! cela viendra, monsieur, avec le
temps!... Il faudra que vous vous p�n�triez d'une chose: c'est que dans
ce monde il ne s'agit pas de coeur bon ou m�chant, mais d'une loi de
nature. Celui-ci profite de celui-l� tant qu'il peut. Il n'est personne
qui h�site � se servir, pour atteindre au plus haut, d'une �chelle
vivante, oui, oui, d'une �chelle form�e de t�tes d'hommes!
Elle fit un mouvement du pied; on e�t dit que ce pied se posait
avec joie sur la nuque d'un des malheureux qu'elle avait renvers�s
impitoyablement comme les ch�nes s�culaires de sa for�t.
--Permettez-moi, madame, de vous contredire � mon tour, r�pliquai-je
en m'effor�ant de rester poli; l'exp�rience nous enseigne � aider le
prochain, ne f�t-ce que par int�r�t personnel, afin d'�tre secourus
nous-m�mes le cas �ch�ant.
--C'est tendre la main � la paresse, � la sottise, s'�cria madame
Bromirska, tout agit�e. L'indigent ne peut s'en prendre de son indigence
qu'� lui-m�me.
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