Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 34

--Nuschka, veux-tu me faire perdre l'esprit? sanglota la baronne. Je
commanderai cent messes pour lui... Crois-tu que cela me viendra en
aide?... Cinquante messes, qu'en dis-tu?--reprit-elle apr�s une pause
qui lui avait suffi apparemment pour se calmer un peu.

Lorsque la joyeuse lumi�re du jour entra dans la chambre, Warwara trouva
que dix messes seraient assez, et apr�s le d�jeuner elle envoya Hermine
chez le cur� pour commander une seule messe, qui ne fut suivie d'aucune
autre, le spectre de Maryan Janowski ne s'�tant plus montr�.

La baronne avait trente ans � cette �poque, c'est �-dire l'�ge o� une
femme bien portante est � l'apog�e de ses charmes et plus dangereuse
que jamais; le bonheur ne voltige plus devant elle comme un papillon
chatoyant, mais il se couche � ses pieds comme un chien soumis. La t�te
de Warwara rappelait la beaut� s�v�re de la V�nus au miroir, du Titien;
sa haute taille, sa d�marche avaient autant de gr�ce que de majest�.
Elle �tait riche, tout le monde lui rendait hommage, elle pouvait
satisfaire tous ses d�sirs, et cependant elle n'�tait pas contente.
Une perp�tuelle inqui�tude, qu'elle attribuait � ses nerfs malades, la
tourmentait sourdement. Chaque jour, son m�decin lui donnait de nouveaux
conseils; enfin, il trouva l'oeuf de Christophe Colomb:

--Il vous faudrait plus d'activit�, madame, dit-il gravement;
occupez-vous de quelque fa�on utile.

Warwara s'occupa en effet, et de la mani�re qui, � son point de vue,
�tait le plus utile.

Elle �tait entr�e en relations � Lemberg avec un Juif du nom de
Gottesmann; ce personnage, aussi d�vot que rus�, poss�dait toute sa
confiance. Gottesmann n'�tait certes pas ce qu'on appelle un honn�te
homme, mais il avait une habilet� merveilleuse pour esquiver la loi sans
se compromettre. De concert avec ce Juif, la baronne commen�a donc �
d�penser utilement son activit� selon l'ordonnance du m�decin. L'hiver,
elle habitait Lemberg, et l'�t� Separowze, s'occupant � la campagne
comme � la ville d'affaires aussi vari�es qu'int�ressantes. Elle pr�tait
de l'argent, avec une surprenante obligeance, aux officiers, aux fils de
famille qui �tudiaient dans la capitale, aux petits employ�s. L'embarras
de ces pauvres gens l'amusait; les imbroglios, les sc�nes de drames
auxquels ils la faisaient assister avaient pour ses nerfs d�tendus un
charme indicible; elle buvait leurs larmes comme du champagne. Quand un
lieutenant, ayant engag� sa parole d'honneur, se voyait sur le point de
perdre son grade, quand un jeune gentilhomme d�sh�rit� par suite de ses
folies parlait de se br�ler la cervelle, quand un p�re de famille cribl�
de dettes se tordait � ses pieds, tel qu'un ver qu'on �crase, alors elle
jouissait r�ellement de la vie et savourait jusqu'aux moindres d�tails
de la situation, sans en d�daigner un seul. D'abord elle feignait d'�tre
inflexible, puis elle accordait une vague esp�rance, comme si les
pri�res de ses d�biteurs aux abois et quelques �-compte, toujours bien
re�us, l'eussent d�sarm�e; mais la saisie ne s'ensuivait pas moins. Les
atermoiements n'avaient d'autre but que de rassurer ses victimes afin
de lui permettre de fondre sur elles � l'improviste. Quand elle avait
tra�n� enfin sa proie en prison, Warwara rentrait dans son argent et il
se trouvait que sans rien risquer elle avait savour� quelques agitations
d�licieuses.

--Mon Dieu! disait-elle, il y a des femmes qui font venir leurs
toilettes de Paris, des hommes qui entretiennent plusieurs ma�tresses �
la fois. Moi, j'ai des go�ts tout particuliers. Mon unique plaisir
est d'avoir quelques pensionnaires sous les verrous de la prison pour
dettes.

Aux v�ritables indigents, elle ne donnait jamais une obole, car la
satisfaction de les torturer ne l'e�t jamais d�dommag�e d'une perte;
l'avidit� l'emportait encore chez elle sur la jouissance qu'elle
�prouvait � faire sentir aux malheureux le pouvoir de l'argent.

Plus la baronne gagnait, moins elle devenait scrupuleuse dans ses
sp�culations. Elle pr�tait sur des immeubles, sur le bl�, sur des
marchandises de toutes sortes. Si le payement ne s'effectuait pas
au jour dit, elle posait sa belle main blanche sur l'objet engag�,
l'ex�cution avait lieu, et, � la vente, M. Gottesmann se rendait
d'ordinaire acqu�reur � vil prix pour revendre ensuite le plus
avantageusement possible. Nombre de march�s frisaient la ligne de
s�paration qui, fine comme un cheveu, est tir�e entre les choses
permises et les choses d�fendues. La baronne tendait volontiers ses
filets sur les terrains vagues o� la justice n'a point de prise. Ainsi,
elle poss�dait, par indivis avec un parent de feu son mari, certaine
maison � Cracovie. Il arriva qu'un seigneur des environs voulut acheter
un immeuble. Warwara s'empressa de recommander la maison de Cracovie,
mais elle passa sous silence ce d�tail peu important qu'elle en poss�d�t
la moiti�. La maison valait quarante mille florins. Selon le conseil
de son astucieuse parente, le cousin de Bromirski, agissant comme
propri�taire unique, demanda le double de cette somme; mais M.
Gottesmann, qui s'�tait pos� en entremetteur, conseilla fortement �
l'acqu�reur de ne donner que soixante mille florins, pas un kreutzer
de plus. C'�tait aussi l'avis du gentilhomme; malheureusement, il lui
manquait vingt mille florins. Gottesmann lui procura donc cette somme �
douze pour cent; la baronne donna l'argent, et l'affaire fut conclue;
Warwara re�ut aussit�t sa part de vingt mille florins, plus dix mille
florins pour l'argent pr�t�; elle trouva moyen en outre de grappiller
dix mille francs de chicanes.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 23:43