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Page 18
--Monsieur Janowski, je vous en prie, un mot!...
Maryan resta immobile, respirant avec effort:
--Me prenez-vous donc pour un mendiant, noble dame? demanda-t-il. Je ne
demande pas l'aum�ne. Employez mieux votre argent.
Puis s'adressant � un groupe de fain�ants d�guenill�s, boiteux fort
ingambes et aveugles voyants, qui encombraient le foss�, il reprit:
--�coutez, pauvres gens! voici une dame compatissante qui veut vous
donner, vous donner beaucoup. Courez vite!
L�-dessus il s'�loigna, laissant Warwara aux griffes de ces gueux, qui
saisissaient les r�nes des chevaux, grimpaient sur les roues, tendaient
leurs bonnets � la porti�re en �num�rant leurs mis�res, comme fait le
choeur d'une trag�die grecque.
--En avant! ordonna la baronne
--Impossible! r�pondit le cocher.
--N'importe! que les chevaux passent sur eux!
Le cocher fit le signe de la croix et ne bougea pas. Force fut bien �
madame Bromirska de tirer sa bourse et de jeter son argent � cette horde
presque mena�ante qui lui souhaita cent ans de vie et autant d'enfants.
Cette d�sagr�able aventure ne l'emp�cha pas d'aborder quelques jours
plus tard Maryan, qui fumait un cigare devant le caf� de Kolomea, o�
se trouvaient aussi cinq officiers, un commissaire du cercle et une
demi-douzaine de juifs, lesquels ouvrirent de grands yeux et envi�rent
la bonne fortune du jeune greffier. Maryan e�t d�sir� �tre un oiseau
qui s'envole � l'approche du chat, mais la fortune lui ayant refus� des
ailes, il jugea convenable de r�pondre en homme bien �lev�. Warwara
feignait de se promener sur la place; elle lui parlait en m�me temps
avec vivacit� sans obtenir une seule r�ponse. Au bout de quelques
minutes, Maryan regarda sa montre, et pr�texta une affaire pour la
quitter.
Une autre fois elle vint � son bureau, lui demander conseil pour un
proc�s. Il s'excusa disant qu'il n'�tait pas l�giste.
--Mais vous �tes un homme d'esprit et je n'ai confiance qu'en vous.
--Consultez plut�t M. de Lindenthal.
Elle se leva d'un air de reine outrag�e, mais le soir m�me, il la trouva
sur son chemin; elle lui saisit les mains avec des sanglots �touff�s:
--Pardonnez-moi, le d�pit m'a emport�e trop loin, oubliez les paroles
indignes qui m'ont �chapp�, j'en suis trop punie, ayez piti� de moi!
Faut-il tomber � genoux ici, dans la rue?
--Je ne vous en veux pas..., balbutia Maryan, dont le ressentiment
devait c�der � cet humble repentir.
--Prouvez-le en m'accompagnant tout de suite jusque chez moi.
Il voulut, r�sister, mais la victoire fut pour la baronne. Dans cette
cal�che close qui roulait au milieu du silence et des t�n�bres, il �tait
son prisonnier; Warwara se jura de ne plus jamais lui rendre sa libert�.
A Separowze ils furent re�us par M. de Lindenthal qui, ne comptant pas
sur la pr�sence d'un tiers, vint au-devant de la voiture en bottes
rouges et en robe de chambre turque. Maryan changea de couleur et voulut
prendre cong�.
Warwara ne comprit pas d'abord:
--Quelle mouche vous pique? demanda-t-elle.
Tout � coup elle �clata de rire:
--Jaloux? vous �tes jaloux! Et vous ne vouliez pas de moi! Eh bien!
c'est votre punition!
Elle profitait, pour parler ainsi, de l'absence de Lindenthal qui, tout
confus de son c�t�, �tait all� faire une toilette moins intime.
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