Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 12

Elle se d�cida donc � un coup hardi, peu de jours apr�s son mariage.
Elle attendit le soir Bromirski dans un n�glig� qui dessinait
effront�ment les lignes sveltes de sa taille aussi mince que jamais.
Le baron ne l'avait vue depuis longtemps qu'empaquet�e dans les plis
menteurs d'une �paisse kazaba�ka; il demeura stup�fait, regardant sa
femme d'abord, puis le plancher et de nouveau sa femme. Celle-ci s'�tait
jet�e � ses pieds, les mains au ciel, en jurant que l'amour seul, pouss�
jusqu'au d�lire, lui avait dict� un subterfuge dont elle s'accusait
humblement, mais qu'elle saurait tout r�parer en ne vivant que pour lui,
comme sa servante, comme son esclave!

Bromirski, tout �mu par la preuve de passion que lui donnait une femme
si jeune et si belle, la releva aussit�t et la consola plut�t qu'il ne
lui fit des reproches. Elle l'avait envelopp� de ses charmes comme d'un
filet aussi difficile � secouer que la robe m�me de Nessus. A quelques
semaines de l�, il fit un testament par lequel il l'instituait son
unique h�riti�re. Warwara eut toujours soin depuis de garder ce monument
de son amour, comme elle nommait le testament, dans sa cassette, dont
elle portait par tendresse sans doute la clef sur son coeur. Du reste,
selon la promesse qu'elle avait faite, elle ne vivait que pour le
baron, s'arrogeant de plus en plus toute l'administration de ses biens,
s'emparant de ses papiers pr�cieux et gardant sa caisse dans la chambre
conjugale.

--Tu es un petit dissipateur, lui disait-elle en l'embrassant: si je te
laissais faire, tu n'aurais plus bient�t qu'un b�ton de mendiant; tous
tes parents et amis ont les mains dans tes poches, tu donnes trop � ma
m�re, tu m'entoures d'un luxe de sultane et tu te refuses � toi-m�me les
moindres fantaisies. Il ne faut pas que cela soit; je pr�tends te g�ter.

Et, en effet, Bromirski n'avait jamais joui autant de sa fortune
jusque-l�. Mille douceurs embellissaient sa vie; l'ameublement de la
seigneurie fut renouvel�, la table �tait exquise, car Warwara, comme
beaucoup de femmes froides et profond�ment �go�stes, tenait � la bonne
ch�re et pr�f�rait un p�t� de perdrix ou un rago�t d'�crevisses au clair
de lune et au parfum des fleurs.

Bromirski �tait persuad� qu'elle ne songeait qu'� lui rendre la vie
agr�able; il s'�merveillait en m�me temps des �conomies qu'elle savait
faire sans qu'il en souffr�t jamais. La maison �tait tenue avec un
ordre rigoureux; tout ce qui avait pass� en gaspillage venait d�sormais
grossir ses revenus, qui parurent augmenter consid�rablement d�s la
premi�re ann�e. Bromirski se f�licita d'abord d'avoir une femme aussi
entendue aux choses du m�nage; il e�t souhait� cependant que Warwara lui
laiss�t un peu d'argent de poche.

--Te traiter comme un �colier quand tout est � toi?... ce serait trop
ridicule! s'�criait Warwara. Je ne suis que ton caissier.

Mais le caissier tenait ferme les fonds qu'on lui avait confi�s ou
laiss� prendre. D�s qu'une somme quelconque arrivait � la seigneurie,
Warwara faisait une toilette, capable de transformer un capucin en don
Juan, et entourait son cher mari de c�lineries f�lines jusqu'� ce qu'il
lui e�t remis l'argent. Chaque fois, il se promettait solennellement
d'�tre moins faible, et parfois son h�ro�sme dura jusqu'au soir, mais
jamais au del�. Elle enroulait autour de son cou ses cheveux d�nou�s,
semblables � ces cordes de soie avec lesquelles un sultan fait �trangler
ses pachas et ses vizirs, et c'en �tait fait.

Le vieux valet de chambre, qui �tait dans tous les secrets de son
ma�tre, disait aux gens de la maison, quand la baronne inaugurait de
nouveaux atours:

--Il faut que monsieur ait re�u beaucoup d'argent aujourd'hui, car
madame est tr�s-d�collet�e.

Bromirski voulait-il faire une partie de whist, il devait s'adresser
� sa femme, qui fron�ait le sourcil et lui comptait avec r�pugnance
quelques petites pi�ces.

--Il serait absurde, disait-elle, de perdre davantage.

Et le baron lui baisait encore la main en signe de remerciement.
N�anmoins il finit par extorquer de l'argent � Warwara au moyen de
pr�textes dans le choix desquels il d�ployait un g�nie inventif qui
le surprenait lui-m�me. Jamais, par exemple, il ne manquait d'aller
lui-m�me � Kolomea pour remettre ou pour chercher des lettres; c'�tait
l'occasion de voler � Warwara quelques kreutzers, et il en �tait heureux
comme un enfant; ou bien il s'agissait de billets de loterie qu'il
n'avait pu d�cemment refuser. Un jour, il pr�tendit avoir trouv� en
chemin un jeune homme pendu � un arbre; il s'�tait empress� de couper la
corde, mais le malheureux avait jur� de revenir � son funeste dessein
s'il ne parvenait pas � se procurer cinq ducats qu'il devait au p�re de
sa fianc�e.

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 18th Dec 2025, 6:55