Le legs de Caïn by Leopold Ritter von Sacher-Masoch


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Page 109

Le mandataire, d'abord effray� par cette apparition inattendue, reprit
vite sa pr�sence d'esprit; il cria aux assaillants:

--Arri�re, rebelles, ou je fais tirer sur vous!

Z�non, sans lui r�pondre, enleva les barres des portes, et la masse des
paysans se pr�cipita dans le ch�teau.

--Tirez! commanda le mandataire, s'adressant aux heiduques, et, comme
ceux-ci ne bougeaient pas, il braqua lui-m�me son fusil sur Z�non.

En ce moment survint un fait incroyable. Mordica�, qui s'�tait tenu
cach� jusque-l� derri�re un pilier, s'�lan�a en avant avec un cri
per�ant et couvrit le fils des Mirolawski de son corps. Le mandataire
n'osa tirer; en m�me temps, le comte survenait, accompagn� de sa fille.

--Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-il d'un air profond�ment ennuy�.

--Nous avons ici une r�volution, r�pondit le mandataire.

--Monsieur le comte, interrompit Z�non, permettez-moi de vous expliquer
le tort qu'on a fait � vos paysans...

--Je ne veux rien entendre...

--Vous �couterez pourtant, dit Z�non avec une �nergie qui lui imposa.

Il e�t bien voulu s'�chapper n�anmoins, mais d�j� Marie-Casimire �tait
intervenue:

--Laissez-moi recevoir leurs plaintes, mon p�re, et vous les communiquer
ensuite.

--Non, dit le comte avec un geste l�ger de la main, comme pour �carter
tout ce qui l'importunait. Non, puisqu'il te pla�t de t'en m�ler, r�gle
cela sans moi, selon ta fantaisie. Je ne veux rien qui m'agite.

Et il s'en alla pr�cipitamment, en passant les doigts dans son toupet
pour le refriser.

Z�non pr�senta les plaintes des paysans � la jeune ma�tresse et proposa
des conventions avantageuses pour les deux partis, qu'elle accepta sans
discuter. Les paysans burent � la sant� de leur seigneur et � celle de
la comtesse Marie; apr�s quoi, ils se retir�rent en chantant la vieille
chanson du carnage de la noblesse.

Z�non fut port� en triomphe jusqu'au village. Le soir, il dit �
Mordica�, en lui tendant la main:

--Je te remercie, ami; tu m'as sauv� la vie; mais, dis-moi, o� donc
as-tu puis� tant de courage?

Le vieux _faktor_ se redressa, et son visage comique prit soudain une
expression de gravit� patriarcale:

--O� j'ai puis� ce courage?... C'est toute une histoire, r�pondit-il.

--Tu vas encore me citer le Talmud?

--Il ne s'agit pas du Talmud. Reportez-vous � cinq cents ans d'ici. Nous
sommes en 1845, nous �tions alors en 1346. Dans ce temps-l�, mon a�eul
Samuel, marchand � Francfort, vivait riche, consid�r�, paisible. Un jour
vint pourtant o� la ville enti�re se souleva contre les juifs. On disait
qu'ils avaient d�chir� des hosties, et que ces hosties avaient saign�.
Aujourd'hui, on refuserait de croire � de pareilles choses; mais
autrefois c'�tait le signal du pillage et de l'assassinat: les juifs
furent poursuivis, pers�cut�s; un grand nombre p�rirent; d'autres
r�ussirent � s'�chapper. Mon a�eul s'enfuit avec les siens par
l'Allemagne, du c�t� de l'Orient, toujours traqu� comme une b�te fauve,
abreuv� d'outrages et de mauvais traitements. Enfin, il se trouva dans
un pays sauvage dont il ne comprenait pas la langue, et, tandis qu'il
se demandait ce qu'il allait devenir, lui et ses enfants, passa un
chevalier richement v�tu, avec une escorte nombreuse. Mon a�eul crut que
l'ange de la mort le touchait d�j� de son aile, mais le chevalier au
contraire, s'arr�tant, lui parla avec bont�... Dans ce temps-l�, songez
donc, dans ce temps-l�!... un gentilhomme chr�tien parler � un juif! Il
lui dit:--Tu peux vivre ici tranquille; personne ne te tourmentera, j'en
r�ponds.

Et le digne homme nous re�ut tous dans son ch�teau... Nous, je dis mes
anc�tres. Et quand les fugitifs se furent bien repos�s et fortifi�s, il
les conduisit lui-m�me, escort�s de ses serviteurs pour les prot�ger
contre toute offense, jusqu'� la ville voisine.--Ce n'�taient pourtant
que de pauvres juifs et lui un grand seigneur dont le nom s'est transmis
de g�n�ration en g�n�ration dans la longue lign�e de ses oblig�s avec
des b�n�dictions et des pri�res... Ce nom, que Dieu le r�compense!
c'�tait celui de Pan Mirolawski de Kolomea, votre a�eul. Vous voyez bien
que, si poltron que je sois, je dois mon sang aux Mirolawski, tant qu'il
y en aura un au monde.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 28th Dec 2025, 19:49