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Page 107
--Ma main est plus propre, en tout cas, que votre conscience, repartit
Z�non.
--Insolent! s'�cria Joachim.
--Pas un mot de plus, ordonna la comtesse Dolkonska. Nous comptons sur
nos paysans, et nous devons aspirer � gagner leur attachement au lieu de
les blesser.
Joachim grin�a des dents.
--Parce qu'on redoute la r�volution, faut-il...
La crainte de m�contenter sa tante et de compromettre ainsi le mariage
projet� entre lui et Marie-Casimire l'arr�ta.
Lorsque la courte obscurit� du soir eut fait place � un beau clair de
lune et que tout le monde fut endormi au ch�teau, la jeune comtesse
sortit furtivement, accompagn�e de sa femme de chambre, pour s'en aller
frapper � la porte de la vieille Patrowna. Sans h�sitation, elle p�n�tra
dans la chaumi�re basse et sombre.
--S'il est vrai, dit-elle � la sorci�re, que tu saches lire dans
l'avenir, je veux que tu me pr�dises le mien.
Patrowna la fit asseoir sur le banc pr�s du po�le, puis s'accroupit
elle-m�me en branlant la t�te et se mit � �taler des cartes grasses,
presque noires, sur le sol.
--Je vous vois, dit-elle enfin, entre deux hommes; � l'un vous devez
donner votre main, vous aimez l'autre. Faut-il vous dire ce que je vois
encore?
--Dis tout, fit Marie-Casimire.
--Eh bien! vous trouverez le bonheur aupr�s de l'homme que vous aimez et
qui vous enl�vera...
La jeune comtesse avait tressailli.
--Puisque tu vois tout, dit-elle, tu peux m'apprendre aussi, bonne
vieille, si cet homme est de noble origine, s'il est riche ou s'il est
pauvre?
La sorci�re sourit.
--Il n'est pas, murmura-t-elle, ce qu'il para�t �tre, et il ne poss�de
pas encore ce qui un jour doit lui appartenir.
Marie-Casimire posa une main sur son coeur.
--Je ne sais ce que j'�prouve depuis quelque temps, dit-elle �
demi-voix, je me sens toute troubl�e....
--Je connais cela, fit Patrowna,--et se levant, elle alla chercher un
liquide de mauvaise mine.--Sept gouttes seulement, et vous serez bien...
--Donne, dit la courageuse fille.
Elle but sans r�fl�chir davantage, mit un ducat sur le banc et s'�loigna
vite comme elle �tait venue. Le lendemain matin, la comtesse Dolkonska
ayant demand� � sa fille si Joachim lui plaisait:
--Ne vous inqui�tez pas de lui, ch�re maman, r�pondit Marie avec une
tranquille fermet�; je ne serai jamais sa femme.
Et Pan Joachim prit assez gaiement son parti de cet arr�t, car, le jour
m�me, il se grisa en compagnie de Popiel et se livra ensuite � ces
plaisanteries polonaises qui, selon le proverbe, finissent avec le
m�decin, le cur� et le fossoyeur. Par exemple, il fit monter sur un
arbre un pauvre petit juif et lui enjoignit de crier: �Coucou!� pour
avoir le pr�texte de tirer sur ce mis�rable comme sur un simple oiselet.
Si Z�non ne f�t pass� par l�, le coup partait, et l'ivrogne devenait
sans le moindre remords un meurtrier. Hardiment, le d�fenseur de
l'innocence arracha le fusil au jeune gentilhomme et d�chargea l'arme en
disant:
--Aux enfants et aux gens pris de vin, ne donnez jamais un fusil.
--Moi, pris de vin! s'�cria Pan Joachim �cumant de rage; tu oses me dire
� moi que je suis ivre!
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