La Vénus d'Ille by Prosper Mérimée


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 5

En cinq minutes je fus pr�t, c'est-�-dire � moiti� ras�, mal
boutonn�, et br�l� par le chocolat que j'avalai bouillant. Je
descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable
statue.

C'�tait bien une V�nus, et d'une merveilleuse beaut�. Elle avait
le haut du corps nu, comme les Anciens repr�sentaient d'ordinaire
les grandes divinit�s; la main droite, lev�e � la hauteur du sein,
�tait tourn�e, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers
doigts �tendus, les deux autres l�g�rement ploy�s. L'autre main,
rapproch�e de la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la
partie inf�rieure du corps. L'attitude de cette statue rappelait
celle du Joueur de mourre qu'on d�signe, je ne sais trop pourquoi,
sous le nom de Germanicus. Peut-�tre avait-on voulu repr�senter la
d�esse jouant au jeu de mourre.

Quoi qu'il en soit, il est impossible de voir quelque chose de
plus parfait que le corps de cette V�nus; rien de plus suave, de
plus voluptueux que ses contours; rien de plus �l�gant et de plus
noble que sa draperie. Je m'attendais � quelque ouvrage du Bas-
Empire; je voyais un chef-d'oeuvre du meilleur temps de la
statuaire. Ce qui me frappait surtout, c'�tait l'exquise v�rit�
des formes, en sorte qu'on aurait pu les croire moul�es sur
nature, si la nature produisait d'aussi parfaits mod�les.

La chevelure, relev�e sur le front, paraissait avoir �t� dor�e
autrefois. La t�te, petite comme celle de presque toutes les
statues grecques, �tait l�g�rement inclin�e en avant. Quant � la
figure, jamais je ne parviendrai � exprimer son caract�re �trange,
et dont le type ne se rapprochait de celui d'aucune statue antique
dont il me souvienne. Ce n'�tait point cette beaut� calme et
s�v�re des sculpteurs grecs, qui, par syst�me, donnaient � tous
les traits une majestueuse immobilit�. Ici, au contraire,
j'observais avec surprise l'intention marqu�e de l'artiste de
rendre la malice arrivant jusqu'� la m�chancet�. Tous les traits
�taient contract�s l�g�rement: les yeux un peu obliques, la bouche
relev�e des coins, les narines quelque peu gonfl�es. D�dain,
ironie, cruaut�, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beaut�
cependant. En v�rit�, plus on regardait cette admirable statue, et
plus on �prouvait le sentiment p�nible qu'une si merveilleuse
beaut� p�t s'allier � l'absence de toute sensibilit�.

�Si le mod�le a jamais exist�, dis-je � M. de Peyrehorade, et je
doute que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je
plains ses amants! Elle a d� se complaire � les faire mourir de
d�sespoir. Il y a dans son expression quelque chose de f�roce, et
pourtant je n'ai jamais vu rien de si beau.

-- C'est V�nus tout enti�re � sa proie attach�e!�
s'�cria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme.

Cette expression d'ironie infernale �tait augment�e peut-�tre par
le contraste de ses yeux incrust�s d'argent et tr�s brillants avec
la patine d'un vert noir�tre que le temps avait donn�e � toute la
statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui
rappelait la r�alit�, la vie. Je me souvins de ce que m'avait dit
mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux � ceux qui la
regardaient. Cela �tait presque vrai, et je ne pus me d�fendre
d'un mouvement de col�re contre moi-m�me en me sentant un peu mal
� mon aise devant cette figure de bronze.

�Maintenant que vous avez tout admir� en d�tail, mon cher coll�gue
en antiquaillerie, dit mon h�te, ouvrons, s'il vous pla�t, une
conf�rence scientifique. Que dites-vous de cette inscription, �
laquelle vous n'avez point pris garde encore?�

Il me montrait le socle de la statue, et j'y lus ces mots:

CAVE AMANTEM.

�Quid dicis, doctissime? me demanda-t-il en se frottant les mains.
Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce cave amantem!

-- Mais, r�pondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: �Prends
garde � celui qui t'aime, d�fie-toi des amants.� Mais, dans ce
sens, je ne sais si cave amantem serait d'une bonne latinit�. En
voyant l'expression diabolique de la dame, je croirais plut�t que
l'artiste a voulu mettre en garde le spectateur contre cette
terrible beaut�. Je traduirais donc: �Prends garde � toi si elle
t'aime.�

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Mon 28th Apr 2025, 1:04