La Vénus d'Ille by Prosper Mérimée


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Page 2

-- Cass�e net comme un �chalas, sa pauvre jambe! P�ca�re! quand
j'ai vu cela, moi, j'�tais furieux. Je voulais d�foncer l'idole �
coups de pioche, mais M. de Peyrehorade m'a retenu. Il a donn� de
l'argent � Jean Coll, qui tout de m�me est encore au lit depuis
quinze jours que cela lui est arriv�, et le m�decin dit qu'il ne
marchera jamais de cette jambe-l� comme de l'autre. C'est dommage,
lui qui �tait notre meilleur coureur et, apr�s monsieur le fils,
le plus malin joueur de paume. C'est que M. Alphonse de
Peyrehorade en a �t� triste, car c'est Coll qui faisait sa partie.
Voil� qui �tait beau � voir comme ils se renvoyaient les balles.
Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.�

Devisant de la sorte, nous entr�mes � Ille, et je me trouvai
bient�t en pr�sence de M. de Peyrehorade. C'�tait un petit
vieillard vert encore et dispos, poudr�, le nez rouge, l'air
jovial et goguenard. Avant d'avoir ouvert la lettre de M. de P.,
il m'avait install� devant une table bien servie, et m'avait
pr�sent� � sa femme et � son fils comme un arch�ologue illustre,
qui devait tirer le Roussillon de l'oubli o� le laissait
l'indiff�rence des savants.

Tout en mangeant de bon app�tit, car rien ne dispose mieux que
l'air vif des montagnes, j'examinais mes h�tes. J'ai dit un mot de
M. de Peyrehorade; je dois ajouter que c'�tait la vivacit� m�me.
Il parlait, mangeait, se levait, courait � sa biblioth�que,
m'apportait des livres, me montrait des estampes, me versait �
boire; il n'�tait jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu
trop grasse, comme la plupart des Catalanes lorsqu'elles ont pass�
quarante ans, me parut une provinciale renforc�e, uniquement oc-
cup�e des soins de son m�nage. Bien que le souper f�t suffisant
pour six personnes au moins, elle courut � la cuisine, fit tuer
des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de
pots de confitures. En un instant la table fut encombr�e de plats
et de bouteilles, et je serais certainement mort d'indigestion si
j'avais go�t� seulement � tout ce qu'on m'offrait. Cependant, �
chaque plat que je refusais, c'�taient de nouvelles excuses. On
craignait que je ne me trouvasse bien mal � Ille. Dans la province
on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles!

Au milieu des all�es et venues de ses parents, M. Alphonse de
Peyrehorade ne bougeait pas plus qu'un Terme. C'�tait un grand
jeune homme de vingt-six ans, d'une physionomie belle et
r�guli�re, mais manquant d'expression. Sa taille et ses formes
athl�tiques justifiaient bien la r�putation d'infatigable joueur
de paume qu'on lui faisait dans le pays. Il �tait ce soir-l�
habill� avec �l�gance, exactement d'apr�s la gravure du dernier
num�ro du Journal des modes. Mais il me semblait g�n� dans ses
v�tements; il �tait roide comme un piquet dans son col de velours,
et ne se tournait que tout d'une pi�ce. Ses mains grosses et
h�l�es, ses ongles courts, contrastaient singuli�rement avec son
costume. C'�taient des mains de laboureur sortant des manches d'un
dandy. D'ailleurs, bien qu'il me consid�r�t de la t�te aux pieds
fort curieusement, en ma qualit� de Parisien, il ne m'adressa
qu'une seule fois la parole dans toute la soir�e, ce fut pour me
demander o� j'avais achet� la cha�ne de ma montre.

�Ah ��! mon cher h�te, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant
� sa fin, vous m'appartenez, vous �tes chez moi. Je ne vous l�che
plus, sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux
dans nos montagnes. Il faut que vous appreniez � conna�tre notre
Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez
pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments ph�niciens,
celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le
c�dre jusqu'� l'hysope. Je vous m�nerai partout et ne vous ferai
pas gr�ce d'une brique.�

Un acc�s de toux l'obligea de s'arr�ter. J'en profitai pour lui
dire que je serais d�sol� de le d�ranger dans une circonstance
aussi int�ressante pour sa famille. S'il voulait bien me donner
ses excellents conseils sur les excursions que j'aurais � faire,
je pourrais, sans qu'il pr�t la peine de m'accompagner...

�Ah! vous voulez parler du mariage de ce gar�on-l�, s'�cria-t-il
en m'interrompant. Bagatelle! ce sera fait apr�s-demain. Vous
ferez la noce avec nous, en famille, car la future est en deuil
d'une tante dont elle h�rite. Ainsi point de f�te, point de bal...
C'est dommage... vous auriez vu danser nos Catalanes... Elles sont
jolies, et peut-�tre l'envie vous aurait-elle pris d'imiter mon
Alphonse. Un mariage, dit-on, en am�ne d'autres... Samedi, les
jeunes gens mari�s, je suis libre, et nous nous mettons en course.
Je vous demande pardon de vous donner l'ennui d'une noce de
province. Pour un Parisien blas� sur les f�tes... et une noce sans
bal encore! Pourtant, vous verrez une mari�e... une mari�e... vous
m'en direz des nouvelles... Mais vous �tes un homme grave et vous
ne regardez plus les femmes. J'ai mieux que cela � vous montrer.
Je vous ferai voir quelque chose!... Je vous r�serve une fi�re
surprise pour demain.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 23rd Feb 2025, 2:22