Colomba by Prosper Mérimée


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Page 29

� un demi-mille du village, apr�s bien des d�tours, Colomba
s'arr�ta tout � coup dans un endroit o� le chemin faisait un
coude. L� s'�levait une petite pyramide de branchages, les uns
verts, les autres dess�ch�s, amoncel�s � la hauteur de trois pieds
environ. Du sommet on voyait percer l'extr�mit� d'une croix de
bois peinte en noir. Dans plusieurs cantons de la Corse, surtout
dans les montagnes, un usage extr�mement ancien, et qui se
rattache peut-�tre � des superstitions du paganisme, oblige les
passants � jeter une pierre ou un rameau d'arbre sur le lieu o� un
homme a p�ri de mort violente. Pendant de longues ann�es, aussi
longtemps que le souvenir de sa fin tragique demeure dans la
m�moire des hommes, cette offrande singuli�re s'accumule ainsi de
jour en jour. On appelle cela l'amas, le mucchio d'un tel.

Colomba s'arr�ta devant ce tas de feuillage, et, arrachant une
branche d'arbousier, l'ajouta � la pyramide.

�Orso, dit-elle, c'est ici que notre p�re est mort. Prions pour
son �me, mon fr�re!�

Et elle se mit � genoux. Orso l'imita aussit�t. En ce moment la
cloche du village tinta lentement, car un homme �tait mort dans la
nuit. Orso fondit en larmes.

Au bout de quelques minutes, Colomba se leva, l'oeil sec, mais la
figure anim�e. Elle fit du pouce � la h�te le signe de croix
familier � ses compatriotes et qui accompagne d'ordinaire leurs
serments solennels, puis, entra�nant son fr�re, elle reprit le
chemin du village. Ils rentr�rent en silence dans leur maison.
Orso monta dans sa chambre. Un instant apr�s, Colomba l'y suivit,
portant une petite cassette qu'elle posa sur la table. Elle
l'ouvrit et en tira une chemise couverte de larges taches de sang.

�Voici la chemise de votre p�re, Orso.�

Et elle la jeta sur ses genoux.

�Voici le plomb qui l'a frapp�.�

Et elle posa sur la chemise deux balles oxyd�es.

�Orso, mon fr�re! cria-t-elle en se pr�cipitant dans ses bras et
l'�treignant avec force. Orso! tu le vengeras!�

Elle l'embrassa avec une esp�ce de fureur, baisa les balles et la
chemise, et sortit de la chambre, laissant son fr�re comme
p�trifi� sur sa chaise.

Orso resta quelque temps immobile, n'osant �loigner de lui ces
�pouvantables reliques. Enfin, faisant un effort, il les remit
dans la cassette et courut � l'autre bout de la chambre se jeter
sur son lit, la t�te tourn�e vers la muraille, enfonc�e dans
l'oreiller, comme s'il e�t voulu se d�rober � la vue d'un spectre.
Les derni�res paroles de sa soeur retentissaient sans cesse dans
ses oreilles, et il lui semblait entendre un oracle fatal,
in�vitable, qui lui demandait du sang, et du sang innocent. Je
n'essaierai pas de rendre les sensations du malheureux jeune
homme, aussi confuses que celles qui bouleversent la t�te d'un
fou. Longtemps il demeura dans la m�me position, sans oser
d�tourner la t�te. Enfin il se leva, ferma la cassette, et sortit
pr�cipitamment de sa maison, courant la campagne et marchant
devant lui sans savoir o� il allait.

Peu � peu, le grand air le soulagea; il devint plus calme et
examina avec quelque sang-froid sa position et les moyens d'en
sortir. Il ne soup�onnait point les Barricini de meurtre, on le
sait d�j�; mais il les accusait d'avoir suppos� la lettre du
bandit Agostini; et cette lettre, il le croyait du moins, avait
caus� la mort de son p�re. Les poursuivre comme faussaires, il
sentait que cela �tait impossible. Parfois, si les pr�jug�s ou les
instincts de son pays revenaient l'assaillir et lui montraient une
vengeance facile au d�tour d'un sentier, il les �cartait avec
horreur en pensant � ses camarades de r�giment, aux salons de
Paris, surtout � miss Nevil. Puis il songeait aux reproches de sa
soeur, et ce qui restait de corse dans son caract�re justifiait
ces reproches et les rendait plus poignants. Un seul espoir lui
restait dans ce combat entre sa conscience et ses pr�jug�s,
c'�tait d'entamer, sous un pr�texte quelconque, une querelle avec
un des fils de l'avocat et de se battre en duel avec lui. Le tuer
d'une balle ou d'un coup d'�p�e conciliait ses id�es corses et ses
id�es fran�aises. L'exp�dient accept�, et m�ditant les moyens
d'ex�cution, il se sentait d�j� soulag� d'un grand poids, lorsque
d'autres pens�es plus douces contribu�rent encore � calmer son
agitation f�brile. Cic�ron, d�sesp�r� de la mort de sa fille
Tullia, oublia sa douleur en repassant dans son esprit toutes les
belles choses qu'il pourrait dire � ce sujet. En discourant de la
sorte sur la vie et la mort, M. Shandy se consola de la perte de
son fils. Orso se rafra�chit le sang en pensant qu'il pourrait
faire � miss Nevil un tableau de l'�tat de son �me, tableau qui ne
pourrait manquer d'int�resser puissamment cette belle personne.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 0:01