Colomba by Prosper Mérimée


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Page 14

-- Vous voyez, miss Nevil, disait Orso, quel pouvoir ont les vers
du Dante, pour �mouvoir ainsi une petite sauvagesse qui ne sait
que son Pater... Mais je me trompe; je me rappelle que Colomba est
du m�tier. Tout enfant elle s'escrimait � faire des vers, et mon
p�re m'�crivait qu'elle �tait la plus grande voceratrice de
Pietranera et de deux lieues � la ronde.�

Colomba jeta un coup d'oeil suppliant � son fr�re. Miss Nevil
avait ou� parler des improvisatrices corses et mourait d'envie
d'en entendre une. Ainsi elle s'empressa de prier Colomba de lui
donner un �chantillon de son talent. Orso s'interposa alors, fort
contrari� de s'�tre si bien rappel� les dispositions po�tiques de
sa soeur. Il eut beau jurer que rien n'�tait plus plat qu'une
ballata corse, protester que r�citer des vers corses apr�s ceux du
Dante, c'�tait trahir son pays, il ne fit qu'irriter le caprice de
Miss Nevil, et se vit oblig� � la fin de dire � sa soeur:

�Eh bien, improvise quelque chose, mais que cela soit court!�

Colomba poussa un soupir, regarda attentivement pendant une minute
le tapis de la table, puis les poutres du plafond; enfin, mettant
la main sur ses yeux comme ces oiseaux qui se rassurent et croient
n'�tre point vus quand ils ne voient point eux-m�mes, chanta, ou
plut�t d�clama d'une voix mal assur�e la serenata qu'on va lire:

La jeune fille et la palombe

Dans la vall�e, bien loin derri�re les montagnes, -- le soleil n'y
vient qu'une heure tous les jours; -- il y a dans la vall�e une
maison sombre, -- et l'herbe y cro�t sur le seuil. -- Portes,
fen�tres sont toujours ferm�es. -- Nulle fum�e ne s'�chappe du
toit. -- Mais � midi, lorsque vient le soleil, -- une fen�tre
s'ouvre alors, -- et l'orpheline s'assied, filant � son rouet: --
elle file et chante en travaillant -- un chant de tristesse; --
mais nul autre chant ne r�pond au sien. -- Un jour, un jour de
printemps, -- une palombe se posa sur un arbre voisin, -- et
entendit le chant de la jeune fille. -- Jeune fille, dit-elle, tu
ne pleures pas seule -- un cruel �pervier m'a ravi ma compagne. --
Palombe, montre-moi l'�pervier ravisseur; -- f�t-il aussi haut que
les nuages, -- je l'aurai bient�t abattu en terre. -- Mais moi,
pauvre fille, qui me rendra mon fr�re, -- mon fr�re maintenant en
lointain pays? -- Jeune fille, dis-moi o� est ton fr�re, -- et mes
ailes me porteront pr�s de lui.

�Voil� une palombe bien �lev�e! s'�cria Orso en embrassant sa
soeur avec une �motion qui contrastait avec le ton de plaisanterie
qu'il affectait.

-- Votre chanson est charmante, dit miss Lydia. Je veux que vous
me l'�criviez dans mon album. Je la traduirai en anglais et je la
ferai mettre en musique.�

Le brave colonel, qui n'avait pas compris un mot, joignit ses
compliments � ceux de sa fille. Puis il ajouta:

�Cette palombe dont vous parlez, mademoiselle, c'est cet oiseau
que nous avons mang� aujourd'hui � la crapaudine?�

Miss Nevil apporta son album et ne fut pas peu surprise de voir
l'improvisatrice �crire sa chanson en m�nageant le papier d'une
fa�on singuli�re. Au lieu d'�tre en vedette, les vers se suivaient
sur la m�me ligne, tant que la largeur de la feuille le
permettait, en sorte qu'ils ne convenaient plus � la d�finition
connue des compositions po�tiques: �De petites lignes, d'in�gale
longueur, avec une marge de chaque c�t�.� Il y avait bien encore
quelques observations � faire sur l'orthographe un peu capricieuse
de mademoiselle Colomba, qui, plus d'une fois, fit sourire miss
Nevil, tandis que la vanit� fraternelle d'Orso �tait au supplice.

L'heure de dormir �tant arriv�e, les deux jeunes filles se
retir�rent dans leur chambre. L�, tandis que miss Lydia d�tachait
collier, boucles, bracelets, elle observa sa compagne qui retirait
de sa robe quelque chose de long comme un busc, mais de forme bien
diff�rente pourtant. Colomba mit cela avec soin et presque
furtivement sous son mezzaro d�pos� sur une table; puis elle
s'agenouilla et fit d�votement sa pri�re. Deux minutes apr�s, elle
�tait dans son lit. Tr�s curieuse de son naturel et lente comme
une Anglaise � se d�shabiller, miss Lydia s'approcha de la table,
et, feignant de chercher une �pingle, souleva le mezzaro et
aper�ut un stylet assez long, curieusement mont� en nacre et en
argent; le travail en �tait remarquable, et c'�tait une arme
ancienne et de grand prix pour un amateur.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 29th Apr 2025, 21:01