Jules César by William. Spurious and doubtful works Shakespeare


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 1

Qu'apr�s cela, le spectacle de l'�me de Brutus soit, pour Johnson, moins
touchant et moins dramatique que celui de telle ou telle passion,
de telle ou telle situation de la vie, c'est l� un r�sultat des
inclinations personnelles du critique, et du tour qu'ont pris ses id�es
et ses sentiments; on n'y saurait trouver une r�gle g�n�rale, sur
laquelle se doive fonder la comparaison entre des ouvrages d'un genre
absolument diff�rent. Il est des esprits form�s de telle sorte que
Corneille leur donnera plus d'�motions que Voltaire, et une m�re se
sentira plus troubl�e, plus agit�e � _M�rope_ qu'� _Za�re_. L'esprit
de Johnson, plus droit et plus ferme qu'�lev�, arrivait assez bien �
l'intelligence des int�r�ts et des passions qui agitent la moyenne
r�gion de la vie, mais il ne parvenait gu�re � ces hauteurs o� vit sans
effort et sans distraction une �me vraiment sto�que. Le temps de Johnson
n'�tait pas d'ailleurs celui des grands d�vouements; et bien que, m�me
� cette �poque, le climat politique de l'Angleterre pr�serv�t un peu sa
litt�rature de cette molle influence qui avait �nerv� la n�tre, elle ne
pouvait cependant �chapper enti�rement � cette disposition g�n�rale des
esprits, � cette sorte de mat�rialisme moral, qui n'accordant, pour
ainsi dire, � l'�me aucune autre vie que celle qu'elle re�oit du choc
des objets ext�rieurs, ne supposait pas qu'on p�t lui offrir d'autres
objets d'int�r�t que le path�tique proprement dit, les douleurs
individuelles de la vie, les orages du coeur et les d�chirements des
passions. Cette disposition du XVIIIe si�cle �tait si puissante qu'en
transportant sur notre th��tre la mort de C�sar, Voltaire, qui se
glorifiait ajuste titre d'y avoir fait r�ussir une trag�die sans amour,
n'a pas cru cependant qu'un pareil spectacle p�t se passer de l'int�r�t
path�tique qui r�sulte du combat douloureux des devoirs et des
affections. Dans cette grande lutte des derniers �lans d'une libert�
mourante contre un despotisme naissant, il est all� chercher, pour lui
donner la premi�re place, un fait obscur, douteux, mais propre � lui
fournir le genre d'�motions dont il avait besoin; et c'est de la
situation, r�elle ou pr�tendue, de Brutus plac� entre son p�re et sa
patrie, que Voltaire a fait le fond et le ressort de sa trag�die.

Celle de Shakspeare repose tout enti�re sur le caract�re de Brutus;
on l'a m�me bl�m� de n'avoir pas intitul� cet ouvrage _Marcus Brutus_
plut�t que _Jules C�sar_. Mais si Brutus est le h�ros de la pi�ce,
C�sar sa puissance, sa mort, en voil� le sujet. C�sar seul occupe
l'avant-sc�ne; l'horreur de son pouvoir, le besoin de s'en d�livrer
remplissent toute la premi�re moiti� du drame; l'autre moiti� est
consacr�e au souvenir et aux suites de sa mort. C'est, comme le dit
Antoine, l'ombre de C�sar �promenant sa vengeance;� et pour ne pas
laisser m�conna�tre son empire, c'est encore cette ombre qui, aux
plaines de Sardes et de Philippes, appara�t � Brutus comme son mauvais
g�nie.

Cependant � la mort de Brutus finira le tableau de cette grande
catastrophe. Shakspeare n'a voulu nous int�resser � l'�v�nement de sa
pi�ce que par rapport � Brutus, de m�me qu'il ne nous a pr�sent� Brutus
que par rapport � cet �v�nement; le fait qui fournit le sujet de la
trag�die et le caract�re qui l'accomplit, la mort de C�sar et le
caract�re de Brutus, voil� l'union qui constitue l'oeuvre dramatique
de Shakspeare, comme l'union de l'�me et du corps constitue la vie,
�l�ments �galement n�cessaires l'un et l'autre � l'existence de
l'individu. Avant que se pr�par�t la mort de C�sar, la pi�ce n'a pas
commenc�; apr�s la mort de Brutus, elle finit.

C'est donc dans le caract�re de Brutus, �me de sa pi�ce, que Shakspeare
a d�pos� l'empreinte de son g�nie; d'autant plus admirable dans cette
peinture, qu'en y demeurant fid�le � l'histoire, il en a su faire une
oeuvre de cr�ation, et nous rendre le Brutus de Plutarque tout aussi
vrai, tout aussi complet dans les sc�nes que le po�te lui a pr�t�es
que dans celles qu'a fournies l'historien. Cet esprit r�veur, toujours
occup� � s'interroger lui-m�me, ce trouble d'une conscience s�v�re aux
premiers avertissements d'un devoir encore douteux, cette fermet� calme
et sans incertitude d�s que le devoir est certain, cette sensibilit�
profonde et presque douloureuse, toujours contenue dans la rigueur des
plus aust�res principes, cette douceur d'�me qui ne dispara�t pas un
seul instant au milieu des plus cruels offices de la vertu, ce caract�re
de Brutus enfin, tel que l'id�e nous en est � tous pr�sente, marche
vivant et toujours semblable � lui-m�me � travers les diff�rentes sc�nes
de la vie o� nous le rencontrons, et o� nous ne pouvons douter qu'il
n'ait paru sous les traits que lui donne le po�te.

Peut-�tre cette fid�lit� historique a-t-elle caus� la froideur des
critiques de Shakspeare sur la trag�die de _Jules C�sar_. Ils n'y
pouvaient rencontrer ces traits d'une originalit� presque sauvage qui
nous saisissent dans les ouvrages que Shakspeare a compos�s sur des
sujets modernes, �trangers aux habitudes actuelles de notre vie, comme
aux id�es classiques sur lesquelles se sont form�es les habitudes de
notre esprit. Les moeurs de Hotspur sont certainement beaucoup plus
originales pour nous que celles de Brutus: elles le sont davantage en
elles-m�mes; la grandeur des caract�res du moyen �ge est fortement
empreinte d'individualit�; la grandeur des anciens s'�l�ve r�guli�rement
sur la base de certains principes g�n�raux qui ne laissent gu�re, entre
les individus, d'autre diff�rence tr�s-sensible que celle de la hauteur
� laquelle ils parviennent. C'est ce qu'a senti Shakspeare; il n'a song�
qu'� rehausser Brutus et non � le singulariser; plac�s dans une sph�re
inf�rieure, les autres personnages reprennent un peu la libert� de leur
caract�re individuel, affranchi de cette r�gle de perfection que le
devoir impose � Brutus. Le po�te aussi semble se jouer autour d'eux avec
moins de respect, et se permettre de leur imposer quelques-unes des
formes qui lui appartiennent plus qu'� eux, Cassius comparant avec
d�dain la force corporelle de C�sar � la sienne, et parcourant la nuit
les rues de Rome, au fort de la temp�te, pour assouvir cette fi�vre de
danger qui le d�vore, ressemble beaucoup plus � un compagnon de Canut ou
de Harold qu'� un Romain du temps de C�sar; mais cette teinte barbare
jette, sur les irr�gularit�s du caract�re de Cassius, un int�r�t qui
ne na�trait peut-�tre pas aussi vif de la ressemblance historique. M.
Schlegel, dont les jugements sur Shakspeare m�ritent toujours beaucoup
de consid�ration, me semble cependant tomber dans une l�g�re erreur
lorsqu'il remarque que �le po�te a indiqu� avec finesse la sup�riorit�
que donnaient � Cassius une volont� plus forte et des vues plus justes
sur les �v�nements.� Je pense au contraire que l'art admirable de
Shakspeare consiste, dans cette pi�ce, � conserver au principal
personnage toute sa sup�riorit�, m�me lorsqu'il se trompe, et � la faire
ressortir par ce fait m�me qu'il se trompe et que n�anmoins on lui
d�f�re, que la raison des autres c�de avec confiance � l'erreur de
Brutus. Brutus va jusqu'� se donner un tort; dans la sc�ne de la
querelle avec Cassius, vaincu un moment par une effroyable et secr�te
douleur, il oublie la mod�ration qui lui convient; enfin Brutus a tort
une fois, et c'est Cassius qui s'humilie, car en effet Brutus est
demeur� plus grand que lui.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Apr 2024, 9:42