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Page 50
Cependant ma vie ext�rieure continuait � �tre une contrainte, une
dissimulation perp�tuelle. J'atteignis, au prix d'une discipline
impie, � la ma�trise du mensonge. Mais ma nature droite et probe
ne cessait de se soulever contre cette imposture. Repr�sente-toi,
ma pauvre amie, l'antagonisme atroce entre mon caract�re ouvert et
expansif, et ce masque d�naturant et calomniant mes impulsions et
mes affinit�s! Ah, je puis bien te l'avouer � pr�sent, plus d'une
fois, mon indiff�rence charnelle pour la femme mena�a de tourner
en une v�ritable haine. Et toi-m�me, ma Blandine, tu faillis
m'exasp�rer contre ton sexe tout entier, toi, la meilleure des
femmes! Le jour o� tu te flattas de me s�parer de Guidon Govaertz,
je sentis ma pi�t� presque filiale pour toi se transformer en une
compl�te ex�cration. Dans ces conditions, tu comprendras que
souvent, refoul� et isol�, virtuellement anath�me, je pensai
perdre la raison!
Plus d'une fois, je roulai sur la pente des aberrations. Puisqu'on
me taxe de monstruosit�, me disais-je, puisque je suis d�chu,
socialement r�prouv�, autant jouir du b�n�fice de mon ignominie.
Les forfaits sadiques d'un Gilles de Rais tentaient mon insomnie.
Te rappelles-tu l'enfant que tu arrachas un jour de mes bras?
Rageur, je te frappai d'un couteau, et, cependant, tu n'avais pas
lu dans mon arri�re-pens�e! Un autre jour, quand nous habitions
encore � la ville, j'accostai un jeune r�deur du port, d�guenill�
comme les petits coureurs des gr�ves de Klaarvatsch. Aiguillonn�
par une perversion abominable, j'allais l'emporter � l'�cart,
derri�re un monceau de ballots.
Je soulevai le mioche sur mes bras: le gar�onnet souriait �
pleines l�vres, il n'avait point peur, quoique je dusse avoir, en
ce moment, la face congestionn�e d'un apoplectique strangul� par
l'asphyxie. Le monsieur voulait jouer sans doute et lui donnerait
ensuite la pi�ce. L'enfant �tait potel� comme une p�che, aussi
brun que ses haillons de velours, et ses yeux marrons p�tillaient
d'espi�gle caresse. Tandis que je pressais le pas, la gorge s�che,
il se mit m�me, c�lin, � me tirer la barbiche. Le voile de soufre
et de bitume se d�chira devant mes yeux. Je me rappelai mon
enfance, ma grand'm�re, toi, Blandine, mon ange! Non, non! Je
d�posai le petiot et m'enfuis. Depuis lors je r�pudiai ces
sinistres suggestions enfant�es par la foi catholique. Non, ne
d�flore point l'innocence ou du moins �pargne la faiblesse, me
disais-je. N'aspire que le parfum qui s'exhale vers toi! N'abuse
de l'enfant qui s'ignore ou du m�le � venir!
Peu de temps apr�s, mon a�eule mourut. Je r�solus de me mettre �
la recherche de l'�tre que je pourrais aimer selon ma nature;
c'est pourquoi je m'exilai en cette �le; j'avais le pressentiment
d'y rencontrer mon �lu. Guidon n'eut qu'� se montrer pour que mon
coeur se projet�t aussit�t vers lui. Je lui reconnus, avec des
aptitudes aux arts que j'aime, des orgueils et des notions de vies
diff�rentes de ceux de la foule domestiqu�e. Comment, d'ailleurs,
demeurer insensible � la muette et d�licate imploration de ses
yeux? Il m'avait devin� aussi bien que je l'avais senti. Lui seul,
le premier, assouvirait mon premier besoin d'�tre! Si notre chair
a mal fait, la plus totale ferveur morale fut notre complice. Nos
sentiments s'accord�rent avec nos d�sirs!...
Mais non, la nature ne d�savoue, ne r�pudie rien de ce qui nous
b�atifie. Ce sont les religions bibliques qui veulent que la terre
nous ait enfant�s pour l'abstinence et la douleur. Imposture!
L'ex�crable cr�ateur que celui qui se complairait en la torture de
ses cr�atures! � ce compte, le pire des sadismes serait celui d'un
pr�tendu Dieu d'amour! Notre supplice ferait sa volupt�!...
Tu t'expliques � pr�sent ma vie, et tu comprends pourquoi je te
parle si orgueilleusement malgr� ta splendeur d'�me, � Blandine!
Tu m'as connu autrefois quelques amis de ma caste, des gens
excellents, une �lite capable de toutes les indulgences et de
toutes les compr�hensions, des penseurs, des esprits d'avant-
garde, qu'aucune sp�culation, f�t-elle la plus os�e, ne semblait
devoir effaroucher. Tu te rappelles combien ils me recherchaient.
Eh bien, souviens-toi de mes subites tristesses en leur compagnie
pourtant si cordiale; de mes �clipses prolong�es, de mes
apparentes bouderies. Quelle en �tait la cause? Au milieu d'une
conversation enjou�e, au plus fort de nos confidences et de nos
�panchements, je me demandais quel accueil me feraient ces m�mes
amis s'ils lisaient dans mon �me, s'ils se doutaient de ma
diff�rence. Et � cette seule id�e, je m'insurgeais int�rieurement
contre cet opprobre qu'ils n'eussent point manqu� de m'infliger,
tout sup�rieurs et audacieux qu'ils se pr�tendaient. Les plus
g�n�reux se seraient abstenus de tout bl�me, mais m'eussent �vit�
comme un l�preux. Combien de fois en des milieux moins cultiv�s,
lorsque j'entendais fl�trir, avec des gestes et des sobriquets
horribles, les amants de ma sorte, ne fus-je pas sur le point
d'�clater, de proclamer ma solidarit� avec les pr�tendus
transgresseurs et de cracher au visage de tous ces implacables
honn�tes gens!
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