Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 49

Tu me jugerais, tu me condamnerais, comme les autres? � ton aise.
Mais je te conteste m�me le droit de m'absoudre. Je ne suis ni
malade, ni coupable. Je me sens le coeur plus grand et plus large
que leurs ap�tres les plus vant�s. Aussi ne te montre point
pharisienne � mon �gard, � mon irr�prochable Blandine!

Et surtout plus de ces mots insultants et fl�trisseurs, n'est-ce
pas, en parlant de mes amours, de mes seules possibles amours!

Ces mots, � mon ange, te faisaient perdre en une seconde tout le
b�n�fice de ton existence enti�re de bont� et de compr�hension.
Assez, de ce d�vouement qui vous br�le au fer rouge... Assez de
caut�res!

-- Henry, g�missait la pauvre femme, ne revenons point sur le
pass�; arrache-moi le coeur mais ne me parle plus ainsi... C'en
est fait. Loin de te bl�mer, je fais plus que t'excuser, je
t'approuve. Est-ce l� ce que tu veux de moi? Tiens, je me damne
avec toi, je renie le bapt�me, l'�vangile et J�sus!

Il l'�coutait � peine, se d�bondait, levait toutes les vannes de
son coeur.

Elle, transfigur�e, l'avait assis doucement dans un fauteuil; elle
lui faisait un collier de ses bras et, joue contre joue, ils
m�laient leurs larmes. Mais elle convenait que le d�sespoir de
Kehlmark avait la pr�s�ance sur le sien et elle consentait �
n'�tre plus que maternelle.

-- Dis-moi, Blandine, poursuivait-il, � qui m'est-il arriv� de
faire du mal? � toi? Mais sans le vouloir; je n'�tais point celui
que tu avais r�v�, ou du moins tel que tu l'eusses voulu. Je n'en
puis rien. Tout le premier j'ai souffert de ta souffrance. Tu
pleures en m'�coutant; tu as raison, Blandine, si tu verses ces
larmes � l'image de mon calvaire, de ma longue Passion... Ta
compassion m'honore et me fait du bien. Mais si c'est de honte
pour moi que tu pleures, ma ch�rie, si tu me r�prouves et me
renies, si tu partages le pr�jug� de ce monde occidental et
protestant... oh alors, abandonne-moi, rengaine tes larmes, je
n'ai que faire de ta sympathie honteuse.

Oui, � partir d'aujourd'hui je n'aurai plus de respect humain et
de l�che pudeur, Blandine.

Un moment viendra o� je proclamerai ma raison d'�tre � la face de
l'univers entier...

Il en est temps. Mon enfer n'a que trop dur�. Il avait commenc�
d�s ma pubert�. Envoy� au coll�ge, mes camaraderies contract�rent
toute la vivacit� et la m�lancolie du plus tendre des sentiments.
Aux baignades, la nudit� frileuse de mes compagnons m'induisait en
de troublantes extases. En dessinant d'apr�s l'antique, je go�tai
les nobles acad�mies masculines; pa�en de vocation, je ne
d�couvrais pas de vertu sans la rev�tir des harmonieuses formes
d'un athl�te, d'un h�ros adolescent ou d'un jeune dieu, et
j'accordai voluptueusement les r�ves et les aspirations de mon �me
� l'hymne de la chair gymnique. En m�me temps, je trouvai coqs et
faisans plus beaux que leurs poules, tigres et lions plus
prestigieux que lionnes et tigresses! Mais je taisais et
dissimulais mes pr�dilections. Je tentai m�me d'en imposer � mes
yeux et � mes autres sens; je me broyai le coeur et la chair, �
les persuader de leurs m�prises et de l'aberration de leurs
sympathies. Ainsi, au pensionnat, j'aimai, en d�sesp�r�, William
Percy, un jeune lord anglais, celui-l� m�me qui avait failli me
noyer, sans jamais oser lui t�moigner que par une ferveur
fraternelle l'ardeur dont je me consumais pour lui[5].

Au sortir de Bodenberg Schloss, quand je te rencontrai, Blandine,
je crus rentrer, par mon amour pour toi, dans l'ordre commun.
Mais, malheureusement pour tous deux, cette rencontre ne fut qu'un
accident dans ma vie sexuelle. Malgr� des efforts loyaux et
h�ro�ques, une tyrannique concentration de volont� pour les fixer
sur la meilleure et la plus d�sirable des femmes, mes postulations
charnelles se d�tourn�rent bient�t de toi et je ne t'aimai plus
que de toute mon �me, � Blandine! � cette �poque, des restes de
scrupules chr�tiens, ou plut�t bibliques, me d�go�taient de moi-
m�me. Je me faisais horreur et me croyais v�ritablement maudit,
poss�d�, d�sign� aux feux de Sodome!

Puis, l'injustice, l'iniquit� de mon destin me r�concilia,
sourdement, avec moi-m�me. J'en arrivai � n'accepter en mon for
int�rieur que le t�moignage de ma propre conscience. Fort de mon
honn�tet� absolue, je m'insurgeai � part moi contre l'orientation
amoureuse du plus grand nombre. Des lectures achev�rent de
m'�difier sur la raison d'�tre et la l�gitimit� de mes penchants.
Des artistes, des sages, des h�ros, des rois, des papes, voire des
dieux justifiaient et exaltaient m�me par leur exemple le culte de
la beaut� m�le. En mes rechutes de doute et de remords, pour me
retremper dans ma foi et ma religion sexuelle, je relisais les
br�lants sonnets de Shakespeare � William Herbert, comte de
Pembroke, ceux, non moins idol�tres, de Michel-Ange, au chevalier
Tommoso di Cavalieri, je me fortifiai en reprenant des passages de
Montaigne, de Tennyson, de Wagner, de Walt Whitmann et de
Carpenter; j'�voquais les jeunes gens du banquet de Platon, les
amants du bataillon sacr� de Th�bes, Achille et Patrocle, Damon et
Pythias, Adrien et Antino�s, Chariton et M�lanippe, Diocl�s,
Cl�omaque, je communiai en toutes ces g�n�reuses passions viriles
de l'Antiquit� et de la Renaissance qu'on nous vante
cuistreusement au coll�ge en nous en taisant le superbe �rotisme
inspirateur d'art absolu, de gestes �piques et de supr�mes
civismes.

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 2:11