Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 39

Lorsqu'ils se baignaient dans le D�mer, G�rard admirait ce jeune
corps svelte et gracieux; et il ne connaissait point plaisir
comparable � celui d'enlacer ce corps souple et ti�de, de
l'emporter dans ses bras, tr�s longtemps et tr�s loin, jusqu'au
fond des bois o� ils finissaient par rouler parmi les foug�res et
les mousses. G�rard chatouillait Tiennet en promenant ses l�vres
sur sa peau rose. Et l'enfant riait, essayait de se d�rober, ruait
de ses petons et allongeait des tapes sur les flancs robustes du
grand qui acceptait des coups pour des caresses...

Cette idylle dura jusqu'au jour o� les parents de Tiennet re�urent
la visite de deux cousins accompagn�s de Wanna, une fillette
blonde, de l'�ge de Tiennet, guillerette et piquante comme une
aube de claire gel�e, app�tissante comme une fraise des bois. Les
vieux, de part et d'autre, convinrent de marier les enfants qui
s'�taient plu d'embl�e.

D�s l'arriv�e de la petite Wanna, le grand G�rard �tait devenu
tout triste � cause de l'attention que son petit Tiennet
t�moignait � sa gentille cousine. Tiennet, enfant g�t�, n'aimait
G�rard que comme il e�t aim� un chien fid�le et docile,
complaisant partenaire de ses jeux, pr�t � passer par tous ses
caprices. G�rard regardait Wanna avec des yeux sombres, des yeux
homicides, mais la blondine se moquait du sauvage et pour le
contrarier, espi�gle et fine, elle enlevait le plus souvent
Tiennet, ou courait se cacher pour qu'il la rejoign�t loin du
jaloux.

G�rard, � bout de patience, adjura son ami de ne pas se marier.
Tiennet lui rit au nez. Es-tu fou, mon grand ch�ri? C'est la loi
de la nature. Vois les b�tes de notre ferme, vois les fauves des
bois!...

-- Oh piti�! je ne sais ce que j'�prouve, mais je te veux pour moi
seul, sans partage... Pourquoi imiter les b�tes, et faire comme
les autres? Ne nous suffisons-nous point? Penses-tu �tre jamais
aim� comme par ton G�rard? Suspendons, en ce qui nous concerne, la
cr�ation prolifique. Ne na�t-il point assez de cr�atures? Vivons
pour nous deux, pour nous seuls. Tiennet, piti�; c'est toi que je
veux, tout � moi, toi seul. J'ignore ce que tu es, si tu es un
homme comme les autres; tu m'es incomparable... Oh! qu'avait-elle
besoin de venir entre nous? Non, je m'explique mal... Tes yeux
�tonn�s me tuent... �coute, j'ai mal par tout le corps quand je te
sais avec elle. Une chaleur mauvaise me circule dans le sang. Vos
mains unies fouillent tout doucement sous ma poitrine pour me
lac�rer le coeur de leurs ongles. Oh, mon Tiennet, j'expire en
songeant qu'elle t'embrassera sur les l�vres, qu'elle t'enl�vera
loin d'ici et qu'il me faudra te c�der pour toujours � cette
voleuse de ma vie...

Tiennet souriait, un peu marri toutefois, s'effor�ant de le rendre
raisonnable: �Grand fou, mes sentiments pour toi ne changeront
pas. Vois, ne suis-je pas toujours le m�me? Nous nous
rapprocherons comme par le pass�. Tu me suivras avec elle...�

Mais la raison ne revenait pas au pauvre berger.

� mesure que la date fatale approchait G�rard d�p�rissait, perdait
l'app�tit, boudait tout ce qu'il c�l�brait autrefois, n�gligeait
son troupeau, et ses allures devinrent m�me si inqui�tantes que
ses ma�tres l'envoy�rent chez le cur�. Peut-�tre lui avait-on jet�
un sort! les bergers sont tous un peu sorciers et expos�s, eux-
m�mes, aux mal�fices de leurs pareils. Le candide G�rard raconta
simplement sa profonde peine au pr�tre. Au premier mot que le
saint homme en entendit: �Va-t'en, maudit, gronda-t-il. Ta
pr�sence empeste... Je ne sais ce qui me retient de te livrer au
drossard[4] de monseigneur le duc de Brabant... et de te faire
br�ler sur le Grand March� comme on fait � ceux de ton esp�ce...
tu partiras sur-le-champ. Ton crime t'a retranch� de la communaut�
des fid�les... Nul ne peut t'absoudre que le pape de Rome! Jette-
toi � ses pieds... Tu n'as encore p�ch� qu'en pens�e. C'est m�me
pourquoi je n'appelle point sur ta chair maudite les flammes du
b�cher purificateur!

G�rard retourna aupr�s de ses ma�tres, sans honte mais plus
d�sesp�r� que jamais. Il se garda bien de raconter par le menu ce
qui s'�tait pass� entre le ministre de Dieu et lui, mais il se
borna � d�clarer qu'il allait entreprendre un long p�lerinage pour
expier un p�ch� trop capital... Cette nuit m�me il se mettrait en
route, quand tous dormiraient, pour ne point rencontrer
d'indiscrets et de curieux... Comme faveur supr�me, il sollicita
de Tiennet qu'il l'accompagn�t jusqu'� une certaine distance de
leur chaumi�re. Wanna voulut retenir son fianc�, mais Tiennet eut
piti� de son ami, et, devant la perspective d'une s�paration peut-
�tre �ternelle, il se rappela leur longue et absolue tendresse de
jadis...

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Books | Photos | Paul Mutton | Mon 22nd Dec 2025, 4:49