Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 38

� la vue d'un nuage rouge�tre et de forme fantastique, les amis
s'�taient rappel� le �Berger de Feu� c�l�bre dans toutes les
plaines du Nord. Kehlmark garda quelque temps le silence; il
paraissait ruminer quelque pens�e grave associ�e � ces croyances
terrifiantes. Depuis qu'il le connaissait, le jeune Govaertz ne
lui avait pas encore vu cet air douloureux, contract�.

-- Vous souffrez, ma�tre? dit-il.

-- Non, cher..., un rien de mauvais souvenir... cela passera.
Peut-�tre cette vespr�e extr�mement capiteuse... Ne trouves-tu
pas?... Connais-tu l'histoire v�ritable du Berger de Feu dont tu
parlais tout � l'heure... J'ai tout lieu de croire qu'on la
raconte mal... Je devine et me sugg�re une version plus exacte...
J'ai confess� les paysages hant�s, par des soirs analogues �
celui-ci, de pr�f�rence ces coins de bruy�re, o� la tristesse
r�gnait encore plus navrante qu'ailleurs, o� la plaine et
l'horizon quintessenciaient leur m�lancolie lourde et leur
ombrageux sommeil. Certains d�tails du paysage contractent, tu
l'auras remarqu� en gardant tes moutons, une signification
poignante, presque fatidique. La nature para�t souffrir de
remords. Les nu�es arr�tent et accumulent leurs fun�bres cort�ges
au-dessus d'une mare pr�destin�e � une noyade, � un th��tre de
crime et de suicide...

Cher petit, que de bonnes r�solutions ont chavir� par des temps
pareils... Mieux vaut alors conjurer son propre danger en songeant
aux catastrophes d'autrui... J'ai fini par compatir au sort du
damn� fr�re de Ca�n. C'est lui que je plains et non plus ses
victimes... Je le trouve superbe et attirant quoique sinistre...
Mais je te raconte des b�tises, et te narre des histoires � faire
peur, comme les bonnes femmes � la veill�e...

-- Non, non; continuez; vous contez si bien et vous mettez tant de
choses dans des paroles ordinaires; souvent votre langage me tire
des larmes et du sang.

-- Soit. L'heure est propice... Et puisque nous sommes si bien
ici, il me tarde de te dire � quel point je participe � la
d�tresse du p�tre ardent. Depuis longtemps il hante jusqu'�
l'obsession la bruy�re violette et nocturne de mon �me... Je me
surprends � r�der en esprit � ses c�t�s, parmi ses ouailles
sulfureuses, sous les gestes de sa houlette rougie par la g�henne,
mordu aux talons par son chien noir et rouge comme un tison �
moiti� consum�, un tison de la fournaise �ternelle; le chien qui
partage le sort de son ma�tre et dont la moiti� du corps
recommence � flamber quand l'autre a repris une apparence de
vie...

Voici ce que m'ont confi� ces fant�mes:

Il y a bien, bien longtemps, G�rard �tait le berger d'un couple de
paysans vieux et avares, isol�s dans un pays perdu de Brabant,
fait de garigues et de steppes comme l�-bas � Klaarvatsch. On ne
savait d'o� il �tait venu. Quand on le d�couvrit pour la premi�re
fois, il pouvait avoir quinze ans; il courait � peine v�tu; ses
allures �taient celles d'un jeune fauve et il fallut lui apprendre
� parler comme � un enfant. � tout hasard, les vieux avares le
firent baptiser et, l'ayant pris � leur service, le dress�rent �
pa�tre leurs ouailles. Il ne leur co�tait que sa pitance, pis que
frugale, et en le recueillant, ils eurent l'air de faire une bonne
action.

Sans doute la m�re nature ch�rissait ce libre gar�on, car,
engendr� on ne sait par quelles cr�atures sylvestres, r�pudi� par
les hommes, il semblait ne point vieillir et devenait de plus en
plus robuste et beau. C'�tait un grand gar�on si chevelu que des
boucles fauves lui retombaient constamment sur le front et sur ses
yeux divins o� semblaient se condenser l'infini et l'�ternit�.

On eut beau le cat�chiser, il n'attacha jamais grande importance �
nos momeries et � nos rites �troits. La simple nature demeura son
mod�le et sa conseill�re. En d'autres termes, il n'�couta que ses
instincts.

Cependant, sur le tard, bien �g�s d�j�, ses ma�tres eurent un
enfant, un tout ch�tif gar�onnet auquel ils donn�rent le nom
d'�tienne. Comme les parents �taient trop vieux pour le choyer, ce
fut G�rard qui l'�leva en commen�ant par lui choisir pour
nourrices deux de ses brebis favorites. Tiennet poussa, devint un
enfant potel�, rose, joli comme un ch�rubin. G�rard continuait �
lui r�server le meilleur lait de ses ouailles, les fruits
aromatiques, les oeufs des ramiers et des faisans. Il l'adorait
comme aucun �tre humain n'en adora un autre, son pauvre coeur de
sauvage n'ayant jamais pu d�penser les tr�sors d'affection qu'il
accumulait. Tiennet gazouillait comme un oiseau; il �tait aussi
blond que l'autre �tait brun; et le petiot commandait au grand
gar�on farouche. Les vieux �go�stes et maniaques les laiss�rent
vaguer et vivre ensemble.

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Books | Photos | Paul Mutton | Mon 22nd Dec 2025, 2:44