Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 33

Kehlmark d�pensait sans compter. On aurait dit qu'il voulait
s'acheter par des lib�ralit�s souvent excessives et des bonnes
oeuvres inconsid�r�es son droit � un myst�rieux et exigeant
bonheur; qu'il voul�t en quelque sorte payer la ran�on d'une
jalouse et fragile f�licit�.

Ces folles largesses contribuaient sans doute au souci de
Blandine; toutefois elle ne risquait aucune remontrance, et
avisait au moyen de faire face � ces d�penses intempestives.

Naturellement, il entrait dans la popularit� du Dykgrave une
grande part de courtisanerie, de lucre et de cupidit�; mais, si la
plupart des rustres l'aimaient grossi�rement, du moins l'aimaient-
ils � leur fa�on. Les pauvres diables de Klaarvatsch, notamment se
seraient fait hacher pour leur jeune seigneur.

En fait d'ennemi d�clar�, le comte ne se connaissait que le domin�
Balthus Bomberg et quelques pudibondes bigotes. Chaque dimanche,
le ministre tonnait contre l'impi�t� et le d�vergondage du
Dykgrave et mena�ait de l'enfer les ouailles qui s'attachaient �
ce libertin, � ce loup ravisseur; il se lamentait surtout sur les
visiteurs t�m�raires qui hantaient l'Escal-Vigor, ce ch�teau
diabolique peupl� de scandaleuses nudit�s...

Quoique brouill� � mort avec le bourgmestre, dans son z�le
fanatique, ce petit homme bilieux, rageur, �troitement sectaire,
se d�cida � se rendre aux P�lerins pour signaler au p�re le risque
qu'il courait en confiant l'�ducation du jeune Guidon � ce mauvais
riche scandalisant la communaut� par son concubinage et son
impi�t�. Comme tous les calvinistes inv�t�r�s, Balthus se doublait
d'un iconoclaste. S'il n'avait redout� la furie des paysans, assez
attach�s � cette vieille relique qui leur rappelait
l'intransigeance de leurs anc�tres, il e�t m�me fait gratter la
fresque du _Martyre de saint Olfgar._

Kehlmark lui �tait doublement odieux, et comme pa�en, et comme
artiste. Pour intimider le bourgmestre, Balthus le somma
d'arracher son fils au corrupteur, sous peine de faire d�sh�riter
aussi Claudie et Guidon par leurs deux v�n�rables tantes. Michel
et Claudie, de plus en plus entich�s de leur Dykgrave, renvoy�rent
le f�cheux � son �glise avec force sarcasmes et moqueries. Guidon,
qu'il aborda un jour aux environs du parc de l'Escal-Vigor, ne
voulut m�me pas l'entendre et lui tourna le dos en haussant les
�paules, en esquissant m�me un geste plus libre encore.

Cependant les affaires de Claudie ne semblaient point avancer
sensiblement. �Voyons, tu ne me racontes rien, dormeur, disait-
elle � celui qu'elle s'imaginait �tre le trait d'union entre elle
et Kehlmark. Le comte, ne t'a-t-il point charg� d'une commission,
d'un mot sp�cial pour moi?� Guidon inventait quelque bourde, mais
souvent, pris au d�pourvu, il se coupait ou demeurait le bec clos.
La maritorne s'emportait alors contre la stupidit� de leur
interm�diaire et il lui d�mangeait m�me de le houspiller et de le
brutaliser comme autrefois.

Par tactique, le Dykgrave continuait � visiter assid�ment les
P�lerins et � faire l'aimable aupr�s de la jeune fermi�re. Elle
l'e�t souhait� plus entreprenant. Il mettait bien du temps � se
d�cider et � faire sa demande. C'est � peine s'il se f�t risqu� �
la lutiner du bout des doigts et jamais il ne lui avait pris un
baiser.

D�s qu'elle entendait le trot du cheval et les jappements de son
escorte de setters, Claudie accourait sur le seuil de la ferme,
prenant presque plaisir � afficher son amour, tant elle �tait
certaine du succ�s. Aussi commen�ait-on � parler beaucoup, aux
veill�es, des assiduit�s du Dykgrave.

Quoiqu'il f�t acquis presque exclusivement au petit Guidon, le
Dykgrave s'ing�niait � se faire bien voir de chacun. Il poussait
m�me la magnanimit� jusqu'� la coquetterie. En r�ponse aux
diatribes et aux anath�mes du virulent pasteur, il r�pandait les
aum�nes, se ruinait en dons de v�tements et de vivres pour les
pauvres soutenus directement par la cure. Le domin� distribuait
l'argent et les autres aum�nes, mais ne d�sarmait point pour cela.

Plus d'une fois les amis d'Henry, les p�cheurs de crevettes et les
coureurs de gr�ves de Klaarvatsch s'offrirent � mettre le domin� �
la raison; cinq d'entre eux notamment employ�s en permanence au
ch�teau, sorte de gardes du corps de Kehlmark. Petits fils de
naufrageurs, diguiers intermittents, pillards d'�paves, le peintre
les faisait souvent poser, s'amusait de leurs luttes et de leur
escrime au couteau mouchet�, ou bien il les confessait et, avec
Guidon, il savourait leur rude langage, le truculent r�cit de
leurs exploits. Ces gars irr�guliers, r�deurs incorrigibles qui
n'avaient su s'acclimater nulle part et s'�taient fait renvoyer de
partout, ces magnifiques pousses humaines, les premiers ma�tres du
petit Guidon, ne juraient plus que par Henry et l'Escal-Vigor.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 16:17