Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 26

Et, profond�ment remu�e, Blandine �clata de nouveau en sanglots;
Kehlmark aussi se sentit �branl� jusqu'au fond de l'�me.

Il attira doucement la jeune fille contre sa poitrine et la baisa
fraternellement sur le front.

-- Eh bien, qu'il soit fait selon ton d�sir! murmura-t-il, mais
puisses-tu ne jamais t'en repentir, ne jamais me reprocher ce
fatal consentement!

En pronon�ant ces derni�res paroles, sa voix tremblait et
s'assourdissait comme sous la menace d'une in�luctable
catastrophe.


VIII

Avec Blandine, le comte de Kehlmark avait emmen� � l'Escal-Vigor,
son seul domestique, le m�me qui l'accompagnait lors de l'accident
de voiture.

Thibaut Landrillon, fils d'un garde forestier ardennais, �tait un
courtaud trapu et solide, assez bien tourn�. Ayant pass� longtemps
par la caserne, il en gardait le type et les fa�ons du
�fricoteur�, du �casseur d'assiettes et de coeurs�, comme il
disait en son jargon de corps de garde. Rond de visage, il avait
l'oeil brun, �merillonn� aux moiteurs lubriques, un petit nez
carlin et fr�tillant de grosses l�vres de ce rouge de minium,
signe, � la fois, de cruaut� et de sensibilit�; un pinceau de
moustache, la virgule; les joues allum�es par une menace de
couperose; de petites oreilles ourl�es et poilues de satyre, les
cheveux drus et broussailleux, le parler gras et gouailleur, les
hanches roulantes, des jambes torses. Viveur de bas �tage, il
cachait, sous une rondeur de surface, et un bagout bongar�onnier,
une �me rapace et trigaude.

Ses fa�ons scurriles, ses sorties peuple et piment�es avaient
cependant le don d'amuser et de d�rider le pensif et toujours
pr�occup�, toujours tendu ch�telain d'Escal-Vigor, � la fa�on dont
les clowns et les bouffons de cour trompaient et dissipaient
autrefois l'hypocondrie ou le latent remords d'un tyran. Paillard
vicieux ayant tra�n� dans les sentines de la d�bauche, palefrenier
des pieds � la t�te, le moral aussi impr�gn� de fumier que sa
souquenille et ses bottes, ce gar�on suintait l'esprit d'une fleur
de populace. Sa casquette sur l'oreille continuait � jouer le
bonnet de police du troupier. Toujours les mains au fond des
poches de la culotte, le br�le-gueule dans un coin de la bouche ou
la chique promen�e d'une joue � l'autre; et s'entourant d'�cres
jets de salive ou de bouff�es suffocantes dont semblait se
pimenter et se colorer son vocabulaire.

Aucun bienfait ne l'e�t touch� ou attendri. � l'�gard de son
ma�tre qui l'avait cependant ramass� dans la boue, en d�pit d'une
cartouche jaune et de d�plorables r�f�rences, il entretenait
l'envie, le mauvais gr�, la rancune du gueux contre le riche et du
b�l�tre contre l'homme bien n�, une hargne f�roce dissimul�e sous
une luronnerie de gavroche. Ses allures d�sint�ress�es masquaient
un effr�n� d�sir de jouissances triviales, car du luxe et de la
fortune, les temp�raments de cette trempe convoitent exclusivement
les sensations toutes physiques que peuvent se payer les
d�tenteurs de l'or. Quant aux plaisirs intellectuels que go�tait
Kehlmark, Landrillon les tenait pour autant de niaiseries.

Le comte accordait une grande tol�rance � ce dr�le. Il souriait �
lui entendre d�goiser ses �quip�es de batteur de bouges et de
coureur de mansardes. O� Landrillon se montrait particuli�rement
impayable, c'�tait dans des charges de misogyne, dans des tirades
paradoxales et ravalantes contre un sexe, qui, � l'en croire, ne
lui avait cependant point m�nag� ses complaisances.

Tant qu'ils avaient v�cu � la ville, Landrillon ne logeait pas
chez la douairi�re, mais au-dessus des �curies rel�gu�es � quelque
distance de la villa; Mme de Kehlmark n'ayant jamais pu s'habituer
aux grimaces de ce singe.

Maintenant le gaillard �tait bel et bien dans la place et, comme
on dit � la chambr�e, s'il cachait son jeu, il avait du moins tir�
son plan. Pas souvent qu'il se contenterait toute sa vie de ces
grappillages et de ces carottes de domestique infid�le. Autrement
s�rieux, les projets du groom! Si la rude Claudie ambitionnait de
devenir comtesse de Kehlmark, Landrillon, lui, s'�tait promis
d'�pouser la gouvernante du ch�teau. Il va sans dire qu'il avait
devin� d'embl�e la liaison entre Henry et Blandine; mais, pas
d�go�t� du tout, il se contenterait parfaitement des restes du
ma�tre. La majordome de l'Escal-Vigor repr�sentait une gaupe assez
friande aux yeux de cet amateur, mais il l'�pouserait surtout pour
l'amour de la �belle galette� qu'elle avait su soutirer � la
vieille. De son c�t�, notre bourreau des coeurs n'avait pas amen�
non plus un mauvais num�ro � la loterie des agr�ments naturels, et
de plus il poss�dait quelques �conomies rondelettes.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 7:03