Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 24

-- C'est �gal, monsieur, nous l'avons �chapp� belle! dit
Landrillon lorsqu'ils eurent d�pass� la zone critique.

Et il bougonnait, rancunier, entre ses dents:

�� des jeux pareils, il finira par laisser sa peau! C'est son
affaire, mais de quel droit risque-t-il la mienne, de peau?�

On aurait dit, en effet, que le comte cherchait des occasions de
se faire un malheur. De quelle peine pouvait-il bien �tre afflig�
pour m�priser ainsi la vie que deux femmes aimantes s'effor�aient
de lui faire si radieuse et si douillette?

� pr�sent, la comtesse et Blandine passaient par des angoisses
encore plus mortelles qu'autrefois. La pauvre a�eule esp�rait lui
concilier l'existence en satisfaisant ses fantaisies les plus
dispendieuses, mais du train qu'il menait, il finirait par se
ruiner de biens et de corps. �Que deviendra-t-il quand je n'y
serai plus? se demandait la digne femme. Il aura bien besoin d'une
compagne aimante et sage, d'une femme d'ordre, d'un ange gardien
au d�vouement profond et absolu!�

Par un reste de pr�jug�, Mme de Kehlmark n'alla point jusqu'�
recommander le mariage � ceux qu'elle appelait ses deux enfants,
mais elle ne le leur aurait point d�conseill�. Quand elle �tait
seule avec Blandine, elle lui exprimait ses appr�hensions pour
l'avenir du jeune comte: �Il faudrait, disait-elle, une v�ritable
sainte, une �gide � ce grand enfant illusionn� pour le conduire
dans la vie, quelqu'un qui, sans l'arracher brutalement � ses
chim�res, le m�nerait tout doucement par la main dans les sentiers
de la r�alit�!�

Blandine promit du fond de l'�me � sa bienfaitrice de toujours
veiller sur le jeune comte et de ne se s�parer de lui que s'il la
chassait. La douairi�re e�t voulu rendre leur union indissoluble,
mais elle n'osa aborder ce sujet d�licat avec Henry et lui faire
part de son voeu le plus cher. � force de se ronger le coeur, sa
robuste sant� finit par s'alt�rer et son �tat s'aggrava de jour en
jour. Elle voyait approcher la mort avec cette fi�re r�signation
puis�e dans les �crits de ses philosophes pr�f�r�s; elle l'aurait
m�me accueillie avec la joie que le travailleur, vaincu par la
fatigue d'une rude semaine, manifeste � l'id�e du repos dominical,
si le sort de son cher gar�on ne l'avait bourrel�e d'angoisses.

Henry et Blandine se tenaient � son chevet, tromp�s par le calme
de la moribonde, et ne pouvant croire � l'imminence de la fin.

Il para�t que le voisinage de la mort pr�te aux agonisants le don
de seconde vue et de proph�tie. La douairi�re de Kehlmark
entrevit-elle l'avenir scabreux de son petit-fils? Craignit-elle
de demander � Blandine d'associer irr�vocablement sa destin�e �
celle d'Henry? Toujours est-il qu'elle ne formula point son d�sir
supr�me. Avec un sourire plein d'ineffable adjuration, elle se
borna � presser sacramentellement leurs mains r�unies, et elle
passa, triste, non de mourir, mais d'abandonner ses enfants.

Par testament, elle laissait � Blandine une somme assez forte pour
assurer son ind�pendance et lui permettre de s'�tablir. Mais ne
l'e�t-elle point promis � la morte tant v�n�r�e, que la jeune
femme serait demeur�e pour la vie avec Henry de Kehlmark.

Quand, quelques mois apr�s la mort de l'a�eule, le comte, de plus
en plus d�go�t� du monde banal et conforme, annon�a � Blandine son
projet de s'installer � l'Escal-Vigor, loin de la capitale, dans
une �le luxuriante et barbare, elle lui dit simplement:

-- Cela me convient parfaitement, monsieur Henry.

Malgr� leur intimit�, il �tait rare qu'elle ne f�t pr�c�der le nom
du jeune homme de cette appellation respectueuse.

Kehlmark, n'ayant sond� encore l'affection absolue qu'elle lui
vouait, s'�tait imagin� qu'elle profiterait des lib�ralit�s de la
d�funte pour retourner en son pays natal de Campine et s'y mettre
en qu�te d'un �pouseur sortable.

-- Que veux-tu dire? lui demanda-t-il, intimid� par l'air de
douloureuse surprise qui avait envahi le visage de la jeune femme.

-- Avec votre permission, monsieur Henry, je vous suivrai partout
o� vous jugerez bon de vous fixer, � moins que ma pr�sence ne vous
soit devenue importune...

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 20th Dec 2025, 3:01