Escal-Vigor by Georges Eekhoud


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Page 21

-- Elle est l�-haut � sa toilette! se dit-il, car l'heure approche
de rejoindre bonne maman.

Somnambulique, les yeux ivres de courses agrestes et d'�treintes
�perdues, il monte � la chambre de la petite.

Quoiqu'elle f�t en chemise, Blandine n'eut qu'un frisson � peine
frileux devant cette intrusion. C'�tait comme si elle l'avait
attendu. Elle �tait en train de d�m�ler sa luxuriante chevelure
flottant sur ses �paules et, embaumant la lavande et les
aromatiques herbages de son pays, elle se tourna vers lui avec un
confiant sourire. Il la prit par les mains, mais presque sans la
regarder, scrutant des absences, des au-del�, fermant m�me les
yeux pour sonder ces perspectives fuyantes, et il la poussa
soumise, sans une parole, vers le lit fra�chement refait. Elle,
fr�missante et ravie, continuait � sourire et se donna comme � un
nouveau vagabond.

Pourquoi se rappelait-il, avant le spasme, l'accord�onie au
cr�puscule, � travers les lilas en fleurs, et les jeunes
villageois tirant le sarrau bleu sur les feuilles mortes de leurs
hardes de travail? �tait-ce parce que ces petits rustauds auraient
pu �tre du pays de l'amante? Glorieux, il communiait en elle toute
une humanit� agreste; c'�tait la force, la saveur, le geste rude
et charnu, la chair de la gl�be, la s�ve villageoise qu'il aimait
en Blandine par ce soir nuptial. Cette fois et celles qui
suivirent, il la poss�da dans l'id�e des d�sirs qu'elle aurait
allum�s chez de robustes manoeuvres ruraux, dans la ru�e fauve,
fumeuse et d�poitraill�e d'une priap�e de kermesse...

Un moment, Blandine avait rencontr� le regard de ses yeux
entr'ouverts. Quel ab�me y d�couvrit-elle? L'ab�me attire et
l'amour est fait d'une part de vertige. Sans s'abandonner � la
pl�nitude de la joie qu'elle avait esp�r�e, sans se p�mer comme
dans la bruy�re phosphorescente entre les bras du Roi des
Vanneurs, elle �prouva, du cerveau aux entrailles, une tendresse
plus tragique pour le jeune comte de Kehlmark. C'est qu'elle avait
surpris dans le regard d'Henry une angoisse infinie, dans son
�treinte le cramponnement d'un noy�, dans son baiser la
suffocation de l'assassin� qui appelle au secours.

Elle s'�tait livr�e � lui, domin�e par sa sup�riorit� d'esprit;
elle mit toujours du respect et de l'humilit� dans leurs rapports.
Ariaan, la brute saine et belle -- Blandine en avait la
conviction, � pr�sent -- n'avait jamais �t� consum� d'affres
�rotiques comparables � celles qui tisonnaient la chair et
l'imagination de ce jeune patricien, trop c�r�bral, trop
sp�culatif.

Tout en l'adorant, elle l'approchait toujours avec une certaine
inqui�tude: la petite mort du nageur au premier contact de l'eau.
Elle le trouvait singulier, fantasque, presque effrayant. Par
moments il d�gageait la tristesse des paysages diffam�s; il �tait
morne et glauque comme un canal traversant une banlieue encombr�e
de gravats et de scories. Le cr�puscule qui pesait, par
intermittences, sur ses pens�es, passait comme une taie sur son
beau regard bleu. Au plus fort de ses acc�s de bont� et de
tendresse se produisirent des retours, des froids, de subits
recroquevillements. Des r�actions continuelles �cartelaient son
caract�re. N'importe, d�s la premi�re apparition de Kehlmark, elle
s'�tait sentie en pr�sence d'un �tre myst�rieux en qui parlait une
voix inconnue dont elle resterait � jamais anxieuse; elle s'�tait
vou�e � lui, sans espoir de salut, comme � un dieu qui la
rel�guerait �ternellement loin de son paradis, et quand elle le
regardait il y avait dans ses yeux � elle l'expression de ceux des
martyrs cherchant vainement � travers les nues le vol d'anges qui
tardent � venir les enlever. Et pourtant, elle ignorait encore les
rites et les pires �preuves de la religion d'amour � laquelle elle
s'�tait consacr�e.


VI

Leur saison charnelle ne dura point. Quand leurs liens physiques
se furent rel�ch�s, puis dissous, Blandine ne s'en affligea gu�re
et en fut � peine surprise. Pourtant elle l'aimait plus
passionn�ment que jamais, et elle lui gardait une idol�tre
reconnaissance de l'hommage qu'il lui avait rendu, s'estimant
heureuse et fi�re de son attachement.

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 18th Dec 2025, 6:28