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Page 20
La perspective du retour au pays, de cet enfant tant choy�, ne
rendait pas Blandine la moins anxieuse des deux femmes. Elle
comptait les jours et, pu�rilement, les biffait sur un calendrier,
comme le coll�gien devait le faire l�-bas.
Quand Henry sonna � la grille de la villa, ce fut Blandine qui lui
ouvrit. Elle crut voir un dieu. Tout son sang reflua vers son
coeur. Elle l'adora d'embl�e, respectueuse, sans espoir int�ress�,
sans ambition, pour lui-m�me, et comprit qu'en vivant toujours en
la pr�sence du jeune Kehlmark, elle aurait tout son d�sir, tout le
but de ses aspirations. Plus tard, elle se rendit un meilleur
compte de ce qui s'�tait produit en elle d�s cette premi�re mais
d�cisive confrontation. Aussi, cette impression complexe ne
pourra-t-elle se d�finir que par les phases successives de ce
r�cit. En somme, Henry imposait �trangement � la pieuse Blandine.
Dans ce coup de foudre pr�par� par un v�h�ment afflux de
sympathies, entrait un m�lange de crainte, de navrance et
d'admiration, peut-�tre m�me un peu de cette piti� occulte que
nous �prouvons devant les choses rares, �ph�m�res presque
incompatibles avec la vie conforme.
-- Ah, c'est mademoiselle Blandine, sans doute! La petite f�e dont
bonne maman m'a fait un si chaleureux �loge! dit le jeune homme en
tendant la main � la cam�riste. Je vous suis bien, bien
reconnaissant de vos soins pour elle! ajouta-t-il avec un peu de
timidit�.
Les deux jeunes gens ne tard�rent pas � se traiter sur un pied de
camaraderie. Sous des allures enjou�es Blandine cacha le profond
et grave amour qui la poss�dait. �tait-ce parce qu'elle se savait
acquise � Kehlmark pour la vie qu'elle ne recourut � aucun des
man�ges par lesquels la femme s'attache un amoureux? Cette absence
de coquetterie contribua � mettre � l'aise cet adolescent timide
et quinteux, inapte aux fa�ons galantes. Il y avait des jours o�
il se montrait tr�s empress� aupr�s d'elle; d'autres jours, il la
couvait de regards singuliers ou semblait l'�viter et m�me la
fuir.
Trois ans se sont �coul�s. On est au mois de mai, aux approches de
la nuit. La douairi�re de Kehlmark d�ne seule chez sa vieille
amie, Mme de Gasterl�, comme elle y est accoutum�e tous les mois.
Blandine ira la reprendre chez cette dame au coup de dix heures.
Henry s'est retir� dans sa chambre o� il travaille, -- o� plut�t
il pr�tend travailler, car le moment et la saison incitent aux
imaginations, aux curiosit�s, aux �nervements.
Par la fen�tre ouverte, le jeune comte entend les accord�ons et
les orgues d'un faubourg ouvrier dont le s�parent quelques
hectares de jardins de plaisance, distribu�s entre la villa de la
douairi�re et celles des voisins, et s�par�s par des haies vives.
Depuis plusieurs soirs, les bouff�es dolentes des cuivres
fignolant le couvre-feu dans une caserne d'artillerie, situ�e l�-
bas aux confins du faubourg, parviennent � Kehlmark avec les
fanfares des lilas qui agitent leurs thyrses jusque sous sa
fen�tre.
On b�tit aussi dans le voisinage; le gros oeuvre sera demain sous
toit, et, tout le jour, le jeune patricien a entendu les ma�ons
tirer d'argentines musiques des briques qu'ils battent de leurs
truelles. Plusieurs fois, sollicit�, il s'est pench� au dehors, et
il a vu les manoeuvres blancs et fauves, poupins gar�ons de la
campagne, l'auget ou l'oiseau � l'�paule, inconscients
�quilibristes, gravir les �chafaudages et affronter les vertiges.
Parfois les feuillages les lui masquent, puis, brusquement, ils
�mergent de la futaie, en dramatique relief de chair active sur le
bleu indiff�rent du ciel...
Pourquoi son coeur gonfle-t-il d'indicible nostalgie quand, apr�s
le coucher du soleil, il leur voit passer le rustique sarrau bleu
par-dessus leurs nippes aussi barbouill�es qu'une palette? Ce sera
pire encore apr�s-demain, quand ils auront fini; leur activit�
harmonieuse comme une orchestrique devenait une habitude flattant
ses yeux et il pr�voit qu'ils lui manqueront, ces peinards; l'un
surtout, un alerte blondin, mieux �quarri, plus cambr� que les
autres, qui trouvait, sans les chercher, des coups de reins, de
jarret et d'�paules � d�sesp�rer un sculpteur. �Il y aura de ces
aides-ma�ons d�rob�s � leur d�coratif m�tier par la caserne�,
songe Kehlmark en entendant les appels du clairon, peut-�tre les
leurs, expirer dans un friselis de feuilles et un remous de
fragrances. Manoeuvres, paysans, d�racin�s de leurs villages,
soldats casern�s, villages d�sir�s et lointains, clochers
lancinants qui vous trouent les coeurs en mal de pays: cette
association d'id�es fugaces tourna chez Kehlmark en une capiteuse
suggestion rustique d'o� se d�tacha tout � coup, symbolique,
l'image de Blandine, non point la Blandine d'� pr�sent, mais la
petite paysanne telle qu'elle s'avoua r�trospectivement � lui, le
po�te �pris de force et de pleine nature.
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