|
Main
- books.jibble.org
My Books
- IRC Hacks
Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare
External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd
|
books.jibble.org
Previous Page
| Next Page
Page 19
De son c�t�, Blandine s'�tait sentie attir�e par cette
septuag�naire de grande race, mais d�pourvue de morgue ou
d'aff�terie et qui n'e�t pas �t� d�plac�e, par son large esprit
philosophique, au si�cle de l'Encyclop�die et de Diderot. Femme de
g�n�reuse culture et sans pr�jug�s, si elle demeurait jusqu'� un
certain point entich�e de la noblesse de naissance, c'est parce
qu'en se comparant aux parvenus qui l'entouraient, elle avait bien
�t� forc�e de convenir de la sup�riorit� des sentiments, du ton et
de l'�ducation d'une caste de plus en plus r�duite, et encore
mieux proscrite et abolie par la crasse des m�salliances
financi�res que par la guillotine et les septembrisades. Mais, en
revanche, elle consid�rait comme d'apanage vraiment aristocratique
ces hautes qualit�s de coeur et d'esprit qu'on rencontre � tout
�chelon de la soci�t�; les poss�der �quivalait pour elle � des
lettres patentes et tenait largement lieu d'un arbre g�n�alogique.
Malvina de Kehlmarck, n�e de Taxandrie, autrefois d'une beaut�
que, vers 1830, les �almanachs des Muses� proclam�rent ossianique,
avait des yeux vifs, d'azur gris aux irisations de perle fine, des
boucles � l'anglaise, un nez busqu�, des l�vres spirituelles; elle
�tait grande, s�che et nerveuse, avec un port de reine, ce que les
peintres appellent la ligne, encore solennis� par de tra�nantes
robes de velours ou de satin noirs, aux larges manches de
guipures, des bonnets � la Marie Stuart, une toilette opulente et
s�v�re que constellaient les escarboucles de ses bagues et de sa
broche; celle-ci, une t�te de sphinx taill�e dans un onyx et
coiff�e d'un pschent de brillants et de rubis.
Chez cette ma�tresse femme rien de p�dant ou de collet mont�; ni
prude, ni vulgaire; bonne sans mi�vrerie, m�me avec brusquerie et
goguenardise, mais affectueuse, loyale, d'une sensibilit� infinie;
nullement pharisienne, n'abhorrant que la trahison, la duplicit�
et la bassesse d'�me.
Cette ath�e �vang�lique devait infailliblement s'accorder avec
cette chr�tienne fort dissidente. La douairi�re se moquait sans
malice de ce qu'elle appelait les momeries de Blandine, mais ne la
contrariait en rien dans la pratique d'ailleurs tr�s r�duite de sa
religion. Par son humeur enjou�e, optimiste, frondeuse,
Mme de Kehlmarck contrastait avec le caract�re pr�matur�ment
r�fl�chi et tremp� de cette jeune fille qu'elle surnommait sa
petite Minerve, sa Pallas Ath�n�e.
La vieille dame s'amusa � l'instruire, et lui apprit � lire et �
�crire, si bien qu'elle en fit sa lectrice et son secr�taire.
Mais elle lui inculqua surtout une d�votion pour son petit-fils,
son Henry qui �tudiait alors au Bodenberg Schloss, et dont
Mme de Kehlmarck disait na�vement � Blandine qu'il �tait son seul
pr�jug�, sa superstition, son fanatisme. Sans cesse elle
entretenait sa demoiselle de compagnie de ce petit prodige, de cet
enfant pr�coce et compliqu�. Elle lisait et se faisait relire les
lettres du coll�gien, Blandine r�pondait � ces lettres, sous la
dict�e de la grand'm�re; mais tr�s souvent elle trouvait, la
premi�re, le mot et m�me le tour de phrase �mu que cherchait la
vieille dame. Elle finit par �crire d'embl�e toute l'�p�tre,
d'apr�s le canevas qu'elle demandait � sa ma�tresse; et celle-ci
avouait que le style de Blandine �tait plus maternel encore que le
sien.
La douairi�re lui montrait aussi les portraits du jeune comte; et
les deux femmes ne se lassaient point de parcourir durant des
heures l'iconographie de leur f�tiche: depuis un daguerr�otype qui
le repr�sentait, remuant b�b�, un pied d�chauss�, sur les genoux
de sa m�re, jusqu'� l'�preuve la plus r�cente, montrant un premier
communiant fluet aux grands yeux trop fixes.
Au d�but, Blandine avait feint de s'int�resser � tout ce qui
concernait le petit Kehlmark et elle mettait elle-m�me l'entretien
sur lui, uniquement pour plaire � l'excellente femme et flatter sa
touchante sollicitude; mais, insensiblement, elle se surprit �
partager ce culte pour l'absent. Elle le ch�rissait profond�ment
avant de l'avoir jamais vu.
Par la suite on verra qu'il y eut dans cet attachement une
influence plus haute et plus providentielle qu'un simple ph�nom�ne
d'auto-suggestion.
�Qu'il doit �tre grand � pr�sent! Et fort! Et beau!�
conjecturaient les deux femmes. Elles se le d�crivaient
mutuellement, l'une apportant des retouches flatteuses � l'image
que l'autre se faisait de lui. Combien il tardait � Blandine de le
voir! Elle languissait m�me en l'attendant. Et voil� qu'une
sinistre nouvelle arriva de Suisse au moment des vacances qui
devaient le rendre � son a�eule: Henry �tait tomb� malade. Jamais
Blandine n'avait connu pareilles transes. Elle aurait vol� au
chevet du coll�gien si elle n'avait �t� retenue pr�s de l'a�eule,
suspendue elle-m�me entre la vie et la mort tant que son petit-
fils ne fut hors de danger. Puis, quelle jubilation quand Blandine
apprit le r�tablissement du jeune homme.
Previous Page
| Next Page
|
|