Port-Tarascon by Alphonse Daudet


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Page 41

� cette privation de viande fra�che s'ajoutait le manque
d'exercice. Que faire dehors, sous cette pluie, dans les flaques
de boue qui les entouraient? Noy�, sombr�, le Tour-de-Ville!

Quelques vaillants colons, Escarras, Douladour, Mainfort,
Roquetaillade, partaient parfois malgr� l'averse pour aller b�cher
la terre; remuer leurs hectares, acharn�s � des essais de
plantations qui produisaient des choses extraordinaires: dans la
chaleur humide de cette terre toujours tremp�e, les c�leris en une
nuit devenaient des arbres gigantesques, et d'un dur! Les choux
aussi prenaient un d�veloppement ph�nom�nal, mais tout en tiges,
longues comme des f�ts de palmiers; quant aux pommes de terre et
aux carottes, il fallait y renoncer.

B�zuquet l'avait bien dit: rien ne venait ou tout venait trop.

� ces causes multiples de d�moralisation, joignez le mal d'ennui,
le souvenir de la patrie si lointaine, le regret des chauds
_cagnards[7] _tarasconnais, le long des vieux remparts dor�s de
lumi�re, et ne vous �tonnez pas si le nombre des malades
augmentait chaque jour.

Heureusement pour eux que le directeur de la sant� Tournatoire ne
croyait pas � la pharmacop�e, et au lieu de droguer, de
_poutringuer _ses malades comme B�zuquet, leur ordonnait �une
bonne petite soupe � l'ail�.

Et pas � dire: �mon bel ami!� jamais il ne manquait son coup.
Vous aviez des gens tout gonfl�s, sans voix ni souffle, qui
demandaient d�j� le pr�tre et le notaire. Arrivait la petite soupe
� l'ail, trois gousses dans un petit pot, trois cuiller�es de
bonne huile d'olive avec une r�tie dessus, et ces gens qui ne
pouvaient plus parler commen�aient par dire:

�_Outre!, _�a sent bon...�

Rien que l'odeur les revenait tout de suite.

Ils prenaient une assiette, deux assiettes, et � la troisi�me les
voil� debout, d�senfl�s, la voix naturelle, puis le soir au salon
faisant leur partie de whist. Disons aussi que c'�taient tous des
Tarasconnais.

Une seule malade, et malade de marque, la tr�s haute dame des
Espazettes n�e de l'Escudelle de Lambesc, avait refus� le rem�de
de Tournatoire. Bon pour la rafataille, la soupe � l'ail, mais
quand on descend des croisades!... Elle ne voulait pas plus en
entendre parler que du mariage de Clorinde avec Pascalon. La
malheureuse dame �tait pourtant dans un �tat d�plorable. Celle-l�,
oui, l'avait, le _mal. _Entendez par ce nom vague la maladie
bizarre, aqueuse, abattue sur cette colonie de m�ridionaux. Ceux
qui en souffraient devenaient subitement tr�s laids, les yeux tout
suintants, le ventre et les jambes enfl�s; cela faisait penser au
terrible �mal de M. Mauve� dans la l�gende du _Fils de l'homme._

La pauvre marquise �tait donc toute _boudenfle _pour employer une
expression du M�morial; et chaque soir, quand le doux et d�sesp�r�
Pascalon descendait en ville, il trouvait la pauvre femme au lit,
sous un grand parapluie de cotonnade bleue attach� � son chevet,
geignant et s'obstinant � refuser la soupe � l'ail, pendant que la
longue et douce Clorinde s'activait autour d'une cafeti�re de
tilleul, et que le marquis, dans un coin, bourrait
philosophiquement des cartouches pour sa chasse tr�s al�atoire du
lendemain.

Dans les cases voisines, l'eau s'�gouttait sur les parapluies
ouverts, les enfants piaillaient, ou des bruits de dispute, des
�clats de discussions politiques arrivaient du salon; et toujours
le cr�pitement de la pluie sur les vitres, sur le toit de zinc,
toujours le gargouillement des goutti�res en cascades.

Entre temps, Costecalde continuait ses sourdes men�es, le jour
dans son cabinet de directeur des cultures, le soir en ville, dans
le salon commun, avec ses �mes damn�es Barban et Rugimabaud, qui
l'aidaient � r�pandre les bruits les plus sinistres, celui-ci
entre autres �L'ail va manquer!...�

Et quelle consternation de penser qu'un jour prochain on serait
peut-�tre priv� de cet ail sauveur, gu�risseur, de cette panac�e
universelle gard�e dans les magasins du Gouvernement, � qui
Costecalde reprochait de l'accaparer.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 15:53