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Page 2
Il me fallait insister sur cotte v�rit�, devenue banale, avant de vous
introduire sur l'ar�ne fumante de la Boh�me. Si je vous y faisais entrer
d'embl�e, lectrice d�licate, �pouvant�e de heurter � chaque pas des
monceaux de ruines et de cadavres, vous penseriez peut-�tre que la
Boh�me �tait alors une nation plus barbare que les autres; je dois donc,
au pr�alable, vous prier, Madame, de jeter un coup d'oeil sur notre
belle France, et de voir ce qu'elle �tait � cette �poque, c'est-�-dire
durant les derni�res ann�es de l'infortun� Charles VI. D'un c�t� les
Armagnacs ravageant les campagnes jusqu'aux, portes de Paris, pillant et
massacrant sans merci leurs compatriotes; un sire de Vauru pendant au
ch�ne de Meaux une cinquantaine de pi�ces de gibier humain qu'on y
voyait _brandiller_ tous les matins[2]; un dauphin de France assassinant
son parent en trahison sur le pont de Montereau, emprisonnant sa m�re,
abandonnant son p�re idiot � tous les maux de sa condition et � tous les
dangers de son ineptie: de l'autre, un duc de Bourgogne, assassin de son
proche parent, faisant justice de ses ennemis dans Paris, � l'aide du
bourreau Capeluche, des bouchers et des �corcheurs; chaque parti vendant
� son tour sa patrie � l'Angleterre; l'Anglais aux portes de Paris; dans
Paris la famine, la peste, l'anarchie, le d�couragement, les vengeances
inutiles et f�roces, les prisonniers mourant de faim dans les cachots ou
�gorg�s par centaines au Ch�telet; la Seine encombr�e de sacs de cuir
remplis de cadavres; une reine ob�se plong�e dans la d�bauche, chaque
membre de la famille royale volant les tr�sors de la couronne, d�vastant
les �glises, �crasant le peuple d'imp�ts; celui-ci faisant fondre la
ch�sse �le Saint-Louis pour payer une orgie, celui-l� arrachant aux
mis�rables leur derni�re obole pour une campagne contre l'ennemi qu'il
n'ose pas seulement songer � entreprendre; les bandes de soldats
mercenaires r�clamant en vain leur paye, et recevant pour d�dommagement
la permission de mettre le pays � feu et � sang; et le jour des
fun�railles de Charles VI, o� il ne restait pas un seul de ces princes
pour accompagner son cercueil, le duc de Bedfort criant sur cette tombe
maudite: �Vive le roi de France et d'Angleterre, Henri VI!�
[Note 2: Voy. Henri Martin.]
Eh bien, pendant cette agonie de la France, la Boh�me pr�sentait un
spectacle non moins terrible, mais h�ro�que et grandiose. Une poign�e de
fanatiques invincibles repoussait les immenses arm�es de la Germanie;
les massacres et les incendies servaient du moins � tenter un grand
coup, une oeuvre patriotique; et si la Boh�me finit par succomber,
ce fut avec autant de gloire que _ces vaillantes gens_ de Gand, dont
l'histoire est quasi contemporaine.
I.
Wenceslas de Luxembourg r�gnait en Boh�me. La France avait vu ce
monarque grossier lorsqu'il �tait venu conf�rer � Reims avec les princes
du saint-empire et les princes fran�ais pour l'exclusion de l'antipape
Boniface. �Les moeurs bassement crapuleuses de Wenceslas choqu�rent
fort la cour de France, qui mettait au moins de l'�l�gance dans le
libertinage: l'empereur �tait ivre d�s le matin quand on allait le
chercher pour les conf�rences[3].� A l'�poque du concile de Constance et
du supplice de Jean Huss, il y avait quinze ans que Wenceslas n'�tait
plus empereur. Son fr�re Sigismond avait r�ussi � le faire d�poser par
les �lecteurs du saint-empire, dans l'esp�rance de lui succ�der; mais
il fut d��u dans son ambition, et la di�te choisit Rupert, �lecteur
palatin, entre plusieurs concurrents, dont l'un fut assassin� par
les autres. Cette �lection ne fut pas g�n�ralement approuv�e.
Aix-la-Chapelle refusa de conf�rer � Rupert le titre de _roi des
Romains;_ plusieurs autres villes du saint-empire recul�rent devant la
violation du serment qu'elles avaient pr�t� au successeur l�gitime de
Charles IV[4]. Une partie des domaines imp�riaux paya les subsides �
Wenceslas, l'autre � Rupert. Sigismond brocha sur le tout, inonda la
Boh�me de ses garnisons et la d�sola de ses brigandages, s'arrogeant la
souverainet� effective en attendant mieux, pers�cutant son fr�re
dans l'int�rieur de son royaume, soulevant la nation contre lui, et
s'effor�ant d'user les derniers ressorts de cette volont� d�j� morte.
Ainsi rien ne ressemblait plus � la papaut� que l'Empire, puisqu'on vit
vers le m�me temps trois papes se disputer la tiare, et trois empereurs
s'arracher le sceptre des mains. Et l'on peut dire aussi que rien ne
ressemblait plus � la France que la Boh�me. A l'une un roi fain�ant,
poltron, ivrogne, abruti; � l'autre un pauvre ali�n�, moins odieux et
aussi impuissant. A la France, les dissensions des Armagnacs et des
Bourgognes, et la fureur du peuple entre deux. A la Boh�me, les ravages
de Sigismond, la r�sistance � la fois molle et cruelle de la cour, et la
voix du peuple, au nom de Jean Huss, pr�cipitant l'orage. Mais l� fut
grande cette voix du peuple, que trop de malheurs et de divisions
�touffaient chez nous sous le b�illon de L'�tranger.
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