En Kabylie by J. Vilbort


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Page 91

--Allons! paresseux, debout! Le temps est magnifique, les mulets nous
attendent, les bagages sont charg�s.

Un p�le rayon de soleil se glisse entre les nuages; mais les sommets
demeurent envelopp�s de brouillards noirs qui flottent ainsi qu'un cr�pe
de deuil sur la vall�e.

--Le ciel est plein d'eau, dit le Conscrit; d'ailleurs les chemins...

--Tais-toi, et en route!

--Mais il y va de votre vie! s'�crie le Caporal avec un geste �plor�;
soyez plus raisonnable.

Le Conscrit para�t �branl�.

--A votre aise, dit le G�n�ral, restez! moi, je pars avec le cheikh
Chellaba.

Le cheikh Chellaba est un des trois chefs de Kala�. Il est venu rendre
visite � son ami Sidi-Lakhdar, et il s'est gracieusement offert � madame
Elvire pour guide.

--Ah! si j'�tais votre mari, madame!

--Monsieur, si vous �tiez mon mari, vous m'aideriez � monter sur mon
b�t. Ami, ta main.

--Ainsi soit-il! dit le Conscrit en la mettant sur son mulet; elle
partirait sans moi, et c'est le devoir d'un soldat de suivre son
G�n�ral. Mais comment nous as-tu procur� des mulets? Tu parles donc
kabyle � pr�sent?

--Tu ne sais pas encore que pour satisfaire un d�sir nous sommes toutes
polyglottes. Adieu, beau Djurjura!

Nous quittons le bordj vers deux heures apr�s-midi. Sous un ciel gros de
nuages et qui de temps � autre, en guise d'avertissement, nous jette
quelques gouttes d'eau au visage, nous montons ou descendons une suite
de collines pittoresques, surcharg�es de moissons et d'arbres fruitiers.
Sortant du d�sert d'Anif, nous �prouvons un plaisir extr�me � voir cette
v�g�tation exub�rante, n�e des sueurs des A�th-Abb�s. Le cheikh Chellaba
marche � notre t�te; il monte une mule de race que nous, sur nos mulets,
nous avons presque autant de peine � suivre que celle de l'aga. C'est
l'homme le plus paternellement bon qui soit. Il veille sur madame Elvire
comme si elle �tait sa fille. La pluie! la pluie! M. Jules, qui se
tenait � l'arri�re-garde, morose et boudeur, accourt avec les ch�les;
mais d�j� le bon p�re Chellaba l'a pr�venu. Il s'est d�pouill� d'un de
ses trois burnous, celui du milieu, il en a envelopp� madame Elvire.

--Ce n'�tait qu'une alerte, dit-elle; voici que la pluie cesse.

--Dites plut�t un dernier avertissement qui vous conseille, madame, de
retourner sur vos pas.

--Toujours en avant! c'est ma devise.

De cr�te en cr�te, de ravin en ravin, nous arrivons devant un mur
vertical. Une roche brune, haute de cinquante m�tres, nous barre le
chemin. A gauche comme � droite, elle se prolonge � perte de vue.
Comment la franchir? Mais ce n'est pas le seul obstacle: il y a l� un
torrent qui bondit sur les pierres. Le cheikh Chellaba y entre
r�sol�ment, et madame Elvire apr�s lui en criant: qui m'aime me suive!
Nous longeons la muraille; nos b�tes ont de l'eau jusqu'au ventre. Alors
s'offre � nous une autre Porte-de-Fer, mais deux fois plus �troite: une
fente, une fissure; deux mulets ne sauraient y passer de front. Le
merveilleux d�fil�! de chaque c�t�, � port�e de la main, le rocher
vertical; sous les pieds, le torrent, grondant, blanc d'�cume. Pour le
plaisir d'y passer qui ne voudrait exposer sa vie? Si pourtant l'eau
montait?.. nous n'�chapperions pas � la noyade. Rassurez-vous: les
A�th-Abb�s, gens pr�voyants autant qu'industrieux, nous ont m�nag� un
refuge. A hauteur d'homme et tout le long du d�fil�, ils ont pratiqu�
une entaille dans la roche vive. Pour �gayer leur chemin et en tirer
tout le profit possible, ils ont apport� du terreau, creus� de petites
rigoles d'arrosage, plant� des figuiers, sem� des fleurs � c�t� des
plantes potag�res. Et voil� que cette gorge aride, si redoutable,
d�roule sous le regard enchant� une double cha�ne verte et fleurie, dont
chaque anneau semble form� par un jardin d'enfant.

Nous sommes sortis du d�fil�; mais entrons-nous dans le chaos? Non.
Voici de toutes parts d'admirables cultures. Autour de nous ce ne sont
que fleurs. Pourtant ce qu'on voit ici tient du prodige; est-ce que cela
existe r�ellement? Ne sont-ce pas nos cerveaux, exalt�s par la fatigue,
qui cr�ent ce d�sordre indescriptible de roches monstrueuses entass�es
les unes sur les autres, de hauts pitons perpendiculaires ou
surplombants, plus rapproch�s encore que ceux de la Kabylie
djurjurienne, d'ab�mes b�ants qui sont comme autant de d�chirures de la
cro�te terrestre et du fond desquels s'�l�ve, g�missante ou mena�ante,
la clameur des torrents? Non, car nous voici pench�s sur un pr�cipice
dont la paroi verticale descend � droite � cinq cents m�tres sous le
pied de nos mulets, tandis qu'� gauche elle monte, en surplombant, �
cent pieds au-dessus de nos t�tes. Nos b�tes trottinent, l'oreille
dress�e, l'oeil fixe, sur un sentier large comme la main; la pluie l'a
d�tremp� et l'a rendu glissant. Le commandant avait bien raison de
vouloir nous garder au bordj! Gare au vertige et ne remuons pas: le
moindre mouvement peut d�terminer un faux pas, et le moindre faux pas,
c'est la mort!... Un cri d'angoisse s'�chappe de nos poitrines: le mulet
de madame Elvire a gliss� et... il reste arc-bout� sur les quatre
jambes, la t�te et le cou dans le vide. Ah! il reprend son pas. Je suis
p�le, le Caporal est bl�me et le Conscrit vert. Le G�n�ral, souriant et
moqueur, tourne la t�te et nous montre des yeux brillants et des joues
roses. Chaque mulet glisse � son tour et nous fait voir la mort d'aussi
pr�s qu'on en peut approcher sans qu'elle vous embrasse. Mais qui
voudrait laisser para�tre sa peur devant une femme si brave? Plus le
p�ril est imminent et plus elle en plaisante. Sa ga�t� nous gagne avec
son beau m�pris du danger, et elle �clate quand le Conscrit, faisant une
glissade plus dangereuse encore que les autres, s'�crie:

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 28th Dec 2025, 13:35