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Page 90
Pr�venu de notre arriv�e par Ben-Ali-Ch�rif, le commandant nous
accueillit comme s'il �tait notre ami, notre fr�re. C'est le lieutenant
***. Sa modestie pourrait s'effaroucher, si je disais ici le bien que je
pense de lui. Le d�ner, o� son ordonnance �puise tout l'art culinaire, a
bient�t r�par� nos forces. La conversation du lieutenant est un
assaisonnement qui nous ferait manger les volailles de nos _tellis_
irr�vocablement r�pudi�es et pour plus d'une cause. La seule sur
laquelle je veuille et doive insister est celle-ci: pendant tout notre
voyage en Kabylie, il ne nous fut pas permis de toucher � nos provisions
de bouche autrement que pour _luncher,_ entre les heures des repas et
loin des maisons hospitali�res. Et ceci, de m�me que la s�ret� parfaite
du voyageur dans la montagne, nous amena � faire cette variante au
proverbe kabyle de l'enfant et de la couronne d'or: �un voyageur peut
parcourir toute la Kabylie sans r�volver dans sa malle, sans poulets
r�tis dans ses _tellis,_ et m�me, s'il est assez bon pi�ton pour se
passer d'un mulet, sans un sou dans sa poche.�
Le lieutenant *** nous apprend la r�volte des Ouled-Sidi-Cheikh de la
province d'Oran, et l'horrible massacre du colonel Beaupr�tre et de sa
petite colonne. Peste! si les Kabyles allaient se soulever aussi? La
garnison du bordj se compose du commandant, d'un chasseur d'Afrique, son
ordonnance, et de quelques spahis ou fantassins indig�nes. Ce serait peu
pour r�sister � une attaque des A�th-Mlikeuch d'en face, qui se battent
aussi bien qu'ils pillent. Il y a huit jours on a d� d�sarmer un de
leurs villages qui manifestait des envies s�ditieuses. Mais nous avons
ici le bras qui, le 26 d�cembre 1854, trancha d'un seul coup de sabre la
t�te de Bou-Bar'la; ce bras est celui du ca�d Sidi-Lakhdarel-Mokrani,
dont une fantaisie alg�rienne fit le descendant d'un Montmorency. Ses
anc�tres authentiques sont les grands chefs de Kala� et des A�th-Abb�s,
qui succ�d�rent, en 1559, � Abd-el-Aziz, illustr� par les guerres
kabyles qu'il soutint contre Kheir-ed-Din, fondateur, avec son fr�re
Aroudj, de la domination turque. Cette g�n�alogie vaut bien l'autre et
peut suffire � son orgueil. Le ca�d habite le bordj avec sa famille. Le
lieutenant nous le pr�sente; c'est un homme d'aspect noble, mais ruin�
par une vieillesse pr�coce. Il semble pr�s de tomber en enfance, et l'on
s'�tonne, en voyant trembler sa main, qu'elle ait pu frapper un si rude
coup sur l'_homme � la mule_. A pr�sent il ne serait plus capable d'un
pareil exploit. Mais le commandant vaut � lui seul une garnison; sa
gaiet� spirituelle et cordiale dissipe nos alarmes. Ne sommes-nous pas
d'ailleurs aguerris au danger? Et en cas de p�ril extr�me, n'avons-nous
pas la ressource de l'_anaya,_ la fleur offerte � madame Elvire par le
beau Kabyle des A�th-Moula-Oumalou?
Enfin, une joyeuse chanson de France qui nous arrive de la cuisine
ach�ve de mettre en fuite les pr�occupations de demain. C'est
l'ordonnance qui chante en lavant la vaisselle. Cet enfant de Paris est
un vrai ma�tre Jacques, lorsqu'il n'a pas le sabre au poing ou le
mousquet � l'�paule: valet de chambre et d'�curie, cuisinier, tailleur
et cordonnier au besoin, il sait tous les m�tiers qu'il n'a pas appris,
et bien d'autres encore. Il est po�te et compose des stances � la lune
dans ses heures de m�lancolie. Sa supr�me joie et son unique ambition,
c'est d'aller � Aumale pour y r�galer ses camarades avec l'argent de sa
solde. Ses voeux devaient �tre exauc�s le lendemain.
Au point du jour, le commandant nous aborde d'un air pein�: il vient de
recevoir un ordre qui l'oblige � partir de suite pour Aumale avec son
ordonnance. Dix-huit lieues que leurs bons chevaux arabes franchiront en
six ou sept heures. En fassent autant les chevaux d'Angleterre ou
d'Allemagne que l'on vante! Et il pleut � verse, et les chemins sont
d�tremp�s.
--Le plus f�cheux, nous dit-il, c'est que vous ne pouvez vous remettre
en route aujourd'hui. La pluie, en tombant cette nuit, a rendu la
montagne tout � fait impraticable. Les sentiers qui m�nent � Kala� sont
toujours difficiles et dangereux, mais � pr�sent vous y exposeriez
s�rieusement votre vie. Vous voil� donc prisonniers au bordj pour un ou
plusieurs jours. R�signez-vous. Au reste, rien ne vous manquera, le ca�d
est pr�venu, et je reviendrai, moi, le plus t�t possible. Madame Elvire
fait une moue charmante qui signifie: je ne me r�signe pas du tout, j'ai
d�cid� que nous partirons aujourd'hui pour Kala�, et nous y serons ce
soir. Cependant, � tous ses mais on oppose des raisons si raisonnables,
qu'elle para�t vouloir se ranger tout � coup aux avis de l'amiti�
prudente. M�fiez-vous, disent les Kabyles, de la femme qui, apr�s s'�tre
longtemps obstin�e dans son id�e, y renonce soudain pour adopter la
v�tre: plus alors elle se montre complaisante et docile, plus elle est
r�solue � vouloir ce que vous ne voulez pas.
Le commandant est parti apr�s nous avoir � tous fraternellement serr� la
main. Nous demeurons dans le bordj avec quelques Kabyles dont aucun ne
parle ni ne comprend un seul mot de fran�ais. La pluie continue �
tomber, le vent souffle de l'ouest par rafales, chassant devant lui
d'�pais nuages d'un bleu d'ardoise qui se heurtent et se d�chirent aux
cr�tes des montagnes, puis saignent abondamment. L'eau ruisselle
partout, la vall�e est inond�e. Le Djurjura semble coiff� d'un bonnet de
plomb; son pied plonge dans un bain d'encre. Le Conscrit s'est recouch�,
tout � fait r�sign� � attendre en dormant que le soleil luise. M. Jules
et moi nous imitons ce sage exemple, car madame Elvire, muette, le
menton dans la main, s'impatiente et s'irrite de tout ce que nous
imaginons pour la consoler ou la distraire. Mais qui donc nous r�veille?
Le bordj est-il attaqu� par toute la Kabylie en armes?
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