En Kabylie by J. Vilbort


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Page 89

Qu'est-ce donc qui fume l�-bas sur cette colline blanche? Est-ce le
foyer d'un g�ant, le dernier survivant de sa race? car nos guides nous
conduiront tout � l'heure devant des tombeaux qui renferment des morts
d'une taille surhumaine. Rassurons-nous: c'est un nuage de vapeur d'eau
que d�gagent deux sources chaudes en jaillissant, bouillonnantes, du
rocher. Elles sont tr�s-sulfureuses et marquent � notre thermom�tre
quatre-vingt-dix-sept degr�s. Un de nos guides nous fait comprendre par
signes qu'un marabout a frapp� en cet endroit la terre de son b�ton;
puis, en marmottant une pri�re, il va se baigner dans une piscine
rustique, tr�s-ancienne, que forment quelques pierres amoncel�es au pied
du coteau. C'est qu'en effet, apr�s les g�ants et avant les _djenouns,_
des hommes habit�rent cette contr�e, ainsi que l'attestent les ruines
nombreuses de villages abandonn�s, tels que Thagadirth-Tamokranth,
Akarou�, Agouni-Gouzal et d'autres encore [Devaux, _les K�ba�les du
Djerjera_.]. Adoraient-ils le dieu Gouzil, fils de Jupiter-Ammon,
qu'une idole berb�re recueillie par le mus�e d'Alger nous repr�sente
avec des cornes de b�lier? Le nom d'un de ces villages en ruines ou
enti�rement disparus semble en offrir, sinon une preuve, du moins un
indice. A une �poque r�cente et jusqu'� la conqu�te de la Kabylie, le
pays d'Anif, avant d'�tre le domaine exclusif des lions et des
panth�res, �tait la for�t de Bondy de l'Afrique, et les Portes-de-Fer,
un coupe-gorge. Nos muletiers nous l'apprennent par une pantomime
tr�s-expressive, accompagn�e de plusieurs _besef_! _besef_! au moment o�
nous entrons dans le d�fil� de la Petite-Porte.

Entre de colossales assises, s�par�es les unes des autres par des
crevasses profondes, verticales et r�guli�res comme si elles avaient �t�
taill�es au ciseau, l'architecte de ce prodigieux monument a jet� le lit
d'un torrent. A chaque crue d'eau le flot s'engouffre, d�cha�n� et
terrible dans cette gorge si �troite que deux mulets � peine peuvent y
marcher de front. Alors le torrent en escalade les parois jusqu'� dix,
quinze ou vingt m�tres, entra�nant dans sa fureur, pour les briser les
uns contre les autres, d'�normes blocs de pierre. De chaque c�t� du
d�fil�, appuy�es sur les assises g�antes, s'entassent des masses
rocheuses, d'aspect formidable.

Oh! certes ce fut la citadelle des Titans en r�volte, foudroy�e et
d�mantel�e par les guerriers c�lestes! Et parmi les murs croulants, en
signe de paix et de r�demption, s'�panouissent des fleurs color�es de ce
vif incarnat qui pare la joue des vierges, et si belles, si douces �
voir sur ce rempart ruin� des cyclopes, que nous ne pouvions en d�tacher
nos yeux.

En sortant de cette gorge unique au monde, et qui � elle seule e�t
largement pay� la fatigue du voyage, nous retrouvons la for�t des
schistes, des pins et des m�l�zes, et nous la parcourrons jusqu'au soir.

Nous voulons atteindre le bordj de Thazemath, situ� dans l'Oued-Sahel,
entre Akbou et le bordj des Beni-Mansour, � mi-chemin de l'un et de
l'autre. Il nous faut donc revenir sur nos pas; mais nous ne reprenons
pas la grande route de la vall�e.

A travers une solitude aride, d�vast�e et sauvage, o� les rampes et les
pentes se multiplient comme � plaisir sur le flanc des rochers
calcaires, nous gagnons, en marchant au sud-est, les cr�tes des
montagnes de la Kabylie m�ridionale. Tant�t nous c�toyons des maquis
imp�n�trables, o� il ne serait pas sage d'ailleurs d'essayer de
p�n�trer: on y pourrait marcher sur la patte d'un dormeur dont la col�re
est terrible quand on le r�veille. Tant�t, nous avan�ons p�niblement en
zig-zag, entre de longs amas de pierres gisantes provenant de montagnes
en d�composition. A notre gauche, sur la rive droite de l'Oued-Sahel,
nous laissons plusieurs tribus qui payent au dormeur dont nous avons
respect� le sommeil, un tribut annuel de boeufs, de moutons et de ch�vres
qu'il pr�l�ve sur elles, la nuit, quand c'est la faim qui le tient
�veill�: les A�th-Hal-Ksor', 3 villages, 250 fusils, qui r�coltent le
goudron dans la for�t d'Anif; les A�th-Seubkha, 1 village, 87 fusils,
qui exploitent leurs sources riches en sel, et plus au nord, les
A�th-Ouled-Ali-Bou-Beker, dont le miel est renomm� en Kabylie; puis les
A�th-Mansour, plus � l'est, 7 villages, 223 fusils, vou�s surtout �
l'industrie des oliviers.

Du haut de la cr�te, o� trottent vers six heures du soir nos mulets
infatigables, nous apercevons � nos pieds, sur une �minence, le bordj
qui nous abrita la nuit derni�re; la premi�re pierre en fut pos�e en
avril 1851. Plus bas, nous admirons se d�roulant de l'ouest � l'est,
l'incomparable vall�e de l'Oued-Sahel et le grand Djurjura que le soleil
� son d�clin coiffe d'un turban �carlate: un de ces chefs d'oeuvre dont
on ne se lasse jamais.

En face de nous, c'est le territoire des A�th-Abb�s, 39 villages, 1,563
fusils, les plus industrieux et les plus civilis�s des Kabyles. Demain,
si Allah le veut, nous irons visiter leur capitale Kalaa [Lieu difficile
� atteindre.] sur un rocher � pic de plus de mille m�tres. Enfin, plus �
l'est, sur les basses collines qui descendent vers Bougie, habite la
nombreuse tribu des A�th-A�del, dont les 20 villages ne comptent pas
moins de 2,130 fusils. Le bordj de Tazemath, vers lequel nous courons
avec les jambes d'acier de nos b�tes, est devant nous couch� comme un
cygne blanc sur un large nid de verdure. Les derni�res lueurs du jour
�clairent vaguement des pierres romaines gisant sur un mamelon, entre le
bordj et la rivi�re: l� fut Ausum. Le soleil est couch� lorsque nous
mettons pied � terre.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sun 28th Dec 2025, 9:19