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Page 82
--Vous pla�t-il que je vous m�ne � mon jardin de France? Nous avons le
temps d'y aller et d'en revenir avant la nuit.
Nous suivons Ben-Ali-Ch�rif dans la premi�re cour o� nous attendent,
impatients et blanchissant leur frein d'�cume, des chevaux de haute race
et une mule si bien faite et si fringante que la mule du Proph�te devait
lui ressembler. L'aga a soulev� madame Elvire comme il e�t fait d'une
petite fille pour l'asseoir sur une selle incrust�e de corail et
d'�maux. Puis, nous montrant le chemin, il prend la t�te du cort�ge. Je
me sentais presque honteux, je l'avoue, assis moi cavalier de la
derni�re classe, sur le dos d'un noble arabe � la robe noire, � l'oeil de
feu.
Il le c�de � peine en beaut� � la cavale blanche de notre h�te qui, dans
son triple burnous aux plis flottants et sous son grand turban en
coupole, marche devant nous comme un triomphateur.
--Quelles magnifiques b�tes! s'�crie madame Elvire, qui, �cuy�re
�m�rite, d�vore des yeux la cavale blanche et le cheval noir.
--Aussi douces et ob�issantes que belle, madame; elles sont dans ma
famille, de p�re en fils, depuis deux ou trois si�cles. Leur g�n�alogie
se confond avec la mienne; mais la plus belle et la meilleure, c'est ma
mule que vous montez. Je ne la troquerais pas contre le plus noble
cheval d'Arabie. J'ai fait avec elle bien des fois le chemin de
Constantine � Batna en dix heures, devan�ant la diligence qui en met
quatorze � franchir ces trente lieues et fait quatre relais. Elle va
toujours, sans boire ni manger; � l'arriv�e, elle a le poil aussi sec
qu'au d�part. Elle n'a peur de rien, pas m�me du lion que nous avons
deux fois rencontr� en chemin. Enfin, elle est aussi bonne personne
qu'intelligente et brave. Aussi est-elle trait�e comme un membre de la
famille.
Le jardin de France o� nous arrivons en un temps de galop offre l'aspect
app�tissant et plantureux d'un jardin de prieur�. Une riche vari�t� de
fleurs odorantes d�corent les plates-bandes; et par de l�, dans les
carr�s, ce sont des l�gumes opulents. Il y a aussi des tonnelles o�
grimpent le long des treillages de jeunes vignes. Les poiriers, les
cerisiers, les abricotiers sont les arbres pr�cieux et rares; les
orangers, les citronniers, les c�drats, les grenadiers et les n�fliers
du Japon sont les communs. Le jardinier qui est de Versailles para�t
enchant� de voir des _pays_. Il s'approche de nous en �tant sa
casquette.
--Monsieur Ben-Ali-Ch�rif, avant un mois vous mangerez des cerises.
--Voici un jardin bien tenu, dis-je, je vous en fais mon compliment.
Mais aussi quelle terre! Il ne lui faut pas d'engrais. C'est assez de
jeter la semence et d'arracher les herbes gourmandes. Avec de l'eau, on
ferait ici pousser des pierres.
--Elle ne te manque pas, n'est-ce pas, Fran�ois? dit l'aga.
--Non, monsieur Ben-Ali-Ch�rif.
--Cette conduite nous am�ne l'eau du Djurjura que j'ai fait analyser.
Elle est claire, fra�che et point du tout saum�tre comme celle de
beaucoup de sources que vous rencontrerez dans la vall�e; et vous ferez
bien de n'y pas boire. Voulez-vous juger de la v�g�tation dans
l'Oued-Sahel? Regardez ces orangers; quel �ge leur donnez-vous?
--Ils sont grands et forts comme des pommiers de vingt ans. Nous leur
donnons cet �ge-l�.
--Ils ont six ans.
Nous nous r�crions tous, incr�dules.
--Fran�ois, est-ce que je me trompe d'une ann�e?
--Non, monsieur Ben-Ali-Ch�rif.
Dans une all�e du jardin nous rencontrons un jeune homme de dix-huit
ans. Sa taille est �lev�e, sa figure noble et bienveillante. Il
s'incline devant nous et salue l'aga en l'appelant Sidi; puis il garde
un silence respectueux. Notre h�te nous le pr�sente:
--Le ch�rif, mon fils a�n�, nous dit-il; ne vous �tonnez pas de son
mutisme. Chez nous le fils ne parle pas devant son p�re. Le ch�rif a
fait ses �tudes au coll�ge arabe d'Alger, et je me propose de l'envoyer
en France pour s'y perfectionner. Si les circonstances me le permettent,
je ferai m�me avec lui le tour d'Europe. J'�prouve, moi aussi, un grand
besoin d'apprendre. Tout ce qui vous rappelle ici la France est le fruit
d'un voyage que je fis � Paris en 1854. A cette �poque, je savais �
peine quelques mots de fran�ais appris dans mes fr�quentes relations
avec vos officiers; car depuis mon plus jeune �ge, j'ai compris ou
plut�t j'ai pressenti que l'avenir de mon pays, de ma ch�re Kabylie,
�tait entre les mains de la France [Ben-Ali-Ch�rif n'en prit pas moins
part � la r�volte des Kabyles en 1870.]. Aussi, m'y suis-je d�vou� corps
et �me; de 1847 � 1857 j'ai entretenu, � mes frais, pour son service,
cent soixante hommes et quatre-vingt-dix chevaux, post�s l� haut, �
Chellata. Ce qui n'emp�cha pas qu'en 1857 je faillis, sur de faux
rapports, �tre arr�t� comme tra�tre et rebelle. On me rendit justice,
Dieu merci, et je fus r�compens� par la croix d'officier. Ce que je vis
� Paris et dans toute la France produisit sur moi une impression
inexprimable dans votre langue comme dans la mienne. Dire que je fus
�merveill�, enthousiasm�, transport�, cela ne pourrait rendre ce que
j'�prouvai; je pensai un moment que j'en perdrais la raison. Je voulus
absolument parler et lire le fran�ais, l'�crire aussi. Il me fallut une
maison fran�aise, je n'en suis qu'� l'_a, b, c_ de mon �ducation, et
j'ai bien d'autres projets; mais je suis jeune encore, et, si Dieu le
veut, je les r�aliserai: mes compatriotes n'auront pas � s'en plaindre,
ni la France non plus.
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