En Kabylie by J. Vilbort


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Page 81

Ignorant encore toute l'�tendue de mon malheur, j'ouvre la porte en
hurlant de rage; je m'�lance derri�re la maison, je vois Ali le tra�tre
fuyant de toute la vitesse de ses jambes. Je l'ajuste, le canon de mon
fusil appuy�, je tire! Ah! cette fois, Allah est avec moi! le mis�rable
tr�buche, il roule � terre.

--Ah! je t'avais bien dit que je ne te manquerais pas!

Il me sembla entendre un ricanement. Je courus vers Ali avec ma _gadoum_
que ma m�re Hasna m'avait aussi rendue. Mon ennemi n'�tait plus qu'un
cadavre. Alors je revins � pas lents � la maison. Je n'osais pas y
rentrer. Je demeurai sur le seuil, chancelant, livide: ma m�re
agenouill�e sanglotait.

Yasmina, la fleur de ma vie, �tait morte.

CHAPITRE V DE LA MAISON D'OR A KALAA ET A LA PLAINE.

La r�sidence de Ben-Ali-Ch�rif couronne, � deux mille m�tres de
l'Oued-Sahel, une petite �minence devant laquelle de belles prairies
l�g�rement accident�es et d�cor�es de bouquets d'arbres forment comme un
parc anglais.

Ext�rieurement, c'est un bordj: une enceinte continue, perc�e de
meurtri�res, forme un carr� de d�fense. Nous y p�n�trons par une porte
monumentale qui regarde la vall�e.

Au fond d'une premi�re cour int�rieure, nous appara�t tout � coup une
vaste maison fran�aise � un �tage. A gauche sont les communs et les
logements des h�tes, � droite un grand hangar pour les chevaux et les
b�tes de b�t. Plus de cent Kabyles se tiennent accroupis ou debout pr�s
de la porte du bordj, et tout le long du b�timent qui occupe le
quatri�me c�t� de la cour. L'aga est l� qui �coute la plainte des uns et
apaise leurs griefs, qui r�primande ou punit les autres.

Plusieurs serviteurs accourent, empress�s � nous conduire devant leur
ma�tre. L'hospitalit� des pauvres montagnards s'est grav�e dans nos
coeurs. Le grand seigneur de la vall�e pourra-t-il la surpasser ou m�me
l'�galer? Qu'on en juge.

Nous sommes introduits aupr�s d'un fort bel homme de trente-cinq �
quarante ans. Il a grand air. Ses traits nobles, sa physionomie � la
fois douce et fi�re, sa haute stature magnifiquement drap�e dans
plusieurs burnous d'un tissu fin, et encore rehauss�e par le turban
oriental qui surmonte son front comme une couronne, tout, jusqu'� ses
mains fines, annonce en lui le ma�tre, le chef ou du moins le premier
d'entre ses pairs. Il est assis devant un bureau � l'europ�enne, et �
c�t� de lui se tient, une plume � la main, un jeune Fran�ais en veste
rose: c'est un sous-officier que le g�n�ral commandant la division de
Constantine a attach� � sa personne en qualit� de secr�taire. En nous
voyant entrer, Ben-Ali-Ch�rif se l�ve et nous salue en homme du meilleur
monde:

--Soyez la bien venue, madame, et vous aussi, messieurs, nous dit-il
sans le moindre accent kabyle. Je vous remercie de la faveur que vous
voulez bien me faire en venant de si loin me demander l'hospitalit�. Ma
maison est la v�tre, mes gens et moi sommes vos serviteurs. Je regrette
que Paris soit si loin, et que nous soyons encore ou peu s'en faut des
Barbares. Je crains que vous ne vous en aperceviez trop. Mais vous me
tiendrez compte, je l'esp�re, de ma bonne volont�.

Le secr�taire met sous les yeux de Ben-Ali-Ch�rif la lettre o� le
gouverneur g�n�ral nous recommande aux autorit�s fran�aises et
indig�nes. Notre h�te nous la rend gracieusement sans la lire, et levant
aussit�t la s�ance de justice, il nous introduit dans sa maison. Il nous
fait traverser une vaste salle � manger pour nous conduire dans une
seconde cour int�rieure, autour de laquelle r�gnent des colonnes de
porphyre. Elles supportent, un peu massives, la galerie � dentelles
d'une riche habitation mauresque. Partout ici l'Afrique et l'Europe se
coudoient; mais chez le ma�tre du logis le d�sir est manifeste de donner
le pas � l'Europe sur l'Afrique. Nous montons, entre deux panneaux de
fa�ence napolitaine, les degr�s de pierre d'un escalier spacieux et
commode, et nous voici dans un salon. Quel plaisir de retrouver Paris au
pied du Djurjura! L'ameublement est rouge et or. Des fauteuils, des
divans, des coussins brod�s, des rideaux en lampas, des tables de boule,
des bronzes et des glaces partout; puis l�-bas, le soleil incendiant les
hauts sommets kabyles: ce contraste �tonnant s'offre � nos yeux ravis
comme un r�gal unique.

L'aga nous fait servir du caf� dans des petites coupes de S�vres. C'est
un vieil Osmanli qui nous le pr�sente, un serviteur d'avant la conqu�te,
n� et �lev� dans la Maison d'Or. Avec une politesse raffin�e,
Ben-Ali-Ch�rif nous interroge sur les incidents de notre voyage. Il
s'excuse ensuite de nous quitter pour quelques instants: il veut
s'occuper lui-m�me de notre installation. Lui sorti, nous nous regardons
tous quatre sans mot dire; mais ce silence est �loquent, et tout rempli
d'actions de gr�ces pour le G�n�ral � qui nous devons cette f�erie apr�s
tant d'autres. N'est-ce pas madame Elvire qui a con�u le projet d'une
excursion dans le monde kabyle, et qui en a combin� le plan? Pour
l'ex�cuter, n'est-ce pas dans son courage que nous avons puis� le n�tre?
A force de nous regarder ainsi, nous �clatons de rire: nous avons des
mines de brigands, nos visages et nos mains sont kabyles. Le soleil a
teint en cramoisi une des joues du Caporal, et chang� le nez du Conscrit
en tomate m�re; le voile en lambeaux du G�n�ral a tatou� en vert son
front, sa joue et son menton. Comment notre h�te a-t-il pu garder son
s�rieux en nous voyant accommod�s de la sorte? Il vient bient�t pour
nous conduire � nos appartements. La chambre que le Conscrit a l'honneur
de partager avec son G�n�ral est magnifiquement meubl�e � la fran�aise.
Grand lit en palissandre, tapis moelleux, riche toilette avec une
aigui�re en vermeil donn�e � Ben-Ali-Ch�rif par le gouvernement
fran�ais, et des savons de Chardin, et des essences de Lubin: bref, tout
le n�cessaire des �l�gances parisiennes. Allons! endossons l'habit noir,
c'est bien le moins que nous puissions faire pour honorer notre h�te.
Nous retournons au salon; les fauteuils ne s'indignent plus de nous
recevoir entre leurs bras.

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Books | Photos | Paul Mutton | Sat 27th Dec 2025, 15:39