En Kabylie by J. Vilbort


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 76

Dans la nuit, je revins � moi. Alors entre la vie et la mort je fis un
effroyable r�ve: je suffoquais; une fum�e br�lante me dess�chait la
poitrine; j'�tais environn� de flammes, et � la lueur sinistre de
l'incendie qui d�vorait la tour, je me vis baignant dans le sang, au
milieu des cadavres. Je jetai des cri, inarticul�s; je m'�lan�ai dehors,
sans savoir o� j'�tais, ni ce que je faisais. Je courus ainsi quelque
temps, fou d'horreur, entre les balles que m'envoyaient les sentinelles.
Enfin, � bout de forces je m'�vanouis et restai jusqu'au matin, inanim�
� la m�me place.

Quand je me r�veillai, le soleil brillait, les oiseaux chantaient, les
fleurs embaumaient. Devant cet �panouissement de la vie et du bonheur
dans la nature je me dis: �Allons, j'ai fait un mauvais r�ve.� Mais
ayant lev� la t�te, je vis au loin des murs noircis, des ruines
fumantes. C'�tait l� tout ce qui restait du village des A�th-Aziz. Au
m�me instant, j'entendis des voix d'homme a quelque distance de moi. Je
me tra�nai derri�re un buisson, me cachant de mon mieux; je regardai:
c'�tait Ali avec des tirailleurs indig�nes et des soldats fran�ais. Ils
causaient, ils riaient ensemble comme des amis � la promenade. D'un
mouvement irr�fl�chi, je cherchai mon fusil pour envoyer une balle au
coeur du tra�tre. Je m'aper�us que je n'avais plus cette arme, � laquelle
je tenais tant parce qu'elle me venait de mon p�re. Seule, ma fid�le
_gadoum_ �tait rest�e attach�e � mon c�t�. Je la saisis d'une main
convulsive et voulus m'�lancer sur mon ennemi. Mes jambes refus�rent de
me porter, je retombai la face contre terre; je restai longtemps ainsi,
ab�m� dans mon d�sespoir. La vue de ces lieux qui m'avaient �t� si chers
m'�tait devenue insupportable. Cette lumi�re �blouissante, cette
campagne fleurie, tout, jusqu'� la joie des oiseaux et des insectes,
irritait ma douleur. J'�prouvais un amer d�go�t de la vie, et je fus sur
le point de suivre l'exemple de ces _manefguis_ qui, chez les Iraten,
s'�taient pr�cipit�s du haut de leurs rochers pour ne point survivre �
la libert� morte. Ma haine pour Ali, le devoir de l'_oussiga_
[Vengeance.], me retinrent au bord de l'ab�me. Alors aussi me revinrent
la pens�e de ma m�re et celle de ma fianc�e. Je fus saisi de
l'irr�sistible besoin de les revoir, de les serrer contre ma poitrine.
Et j'entrepris aussit�t le plus p�nible voyage qu'un homme gri�vement
bless� ait jamais accompli. Je ne pouvais marcher, ni m�me me tenir
debout, tellement �tait grande ma faiblesse. Il me fallut donc me
tra�ner sur mes genoux pour franchir les quatre heures de marche qui me
s�paraient du village de Soummeur. L� �taient ma bonne m�re Hasna,
Yasmina ma bien-aim�e! Et chaque fois que mon courage m'abandonnait, je
cherchais des yeux l'Azerou-N'tour [Pic du Djurjura qui domine le col de
Tirourda pr�s de Soummeur.]; il m'attirait � lui comme l'aimant attire
le fer. Depuis longtemps la nuit �tait venue quand j'atteignis enfin la
porte du village. Cette porte �tait ferm�e; mais les hommes de garde
veillaient. En vain je voulus r�pondre aux cris des sentinelles. Je n'en
eus plus la force. M'�tant redress� par un dernier effort, je tombai �
la renverse.

Ah! cette fois le r�veil fut doux. Elles �taient l�, pr�s de moi, toutes
les deux, les ch�res femmes! Et entre elles j'en vis une troisi�me au
visage fier et bienveillant. C'�tait Lalla Fathma. Elle m'avait
recueilli dans sa maison; si je vivais, je le devais bien plus � son
pouvoir surnaturel qu'� l'huile chaude et aux aromates. J'essayai de
porter � mes l�vres un pan de son ka�k, mais la sainte retint ma main;
elle mit la sienne sur mon front. A ce moment il me sembla que le mal
m'�tait enlev� comme par miracle. Je m'endormis d'un sommeil profond et
si bienfaisant que d�s le lendemain je pus me tenir sur mes jambes.

Plusieurs jours s'�taient �coul�s pendant lesquels, en proie � la
fi�vre, je n'avais eu connaissance de rien. J'avais �t� comme un fou qui
se bat avec un ennemi invisible. J'appris cela de ma m�re et de ma
bien-aim�e que, dans mon �garement, j'avais cruellement maltrait�es. Je
leur en demandai pardon. Elle me r�pondirent par des larmes et des
baisers. Un matin que je me sentais beaucoup mieux:

--Mais, leur demandai-je, les Roumis, que sont-ils donc devenus?

Je les vis l'une et l'autre changer de couleur. Ma m�re Hasna mit mon
bras sous le sien. Yasmina appuya une de mes mains sur son �paule; et
ainsi soutenu, on me mena sur une �minence d'o� la vue embrasse presque
tout le territoire des Zouaoua de l'Est.

--Regarde! dit ma m�re Hasna, et son visage devint blanc comme de la
cire.

Toutes nos tribus �taient envahies. D'innombrables tentes occupaient le
fond des vall�es ou s'�parpillaient sur les pentes. Les cr�tes aussi
�taient militairement occup�es. La tente de votre _amin el oumena_
[L'_amin_ des _amins,_ qui exerce le commandement en chef en temps de
guerre.] �tait dress�e sur le pic de Tamesguida chez les A�th-Ithourar.
Seul le territoire des A�th-Illilten, o� nous nous trouvions, demeurait
encore libre.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Sat 27th Dec 2025, 5:11