En Kabylie by J. Vilbort


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Page 67

Nous ref�mes longtemps, les uns et les autres, le m�me chemin apr�s la
fonte des neiges et jusqu'en automne, oubliant pendant l'hiver une bonne
partie de ce que nous avions appris pendant l'�t�. J'en retenais, moi,
plus qu'eux pourtant, parce que ma m�re Hasna me faisait r�p�ter les
le�ons du _thaleb_ et r�citer avec elle les versets du Coran. Mais
j'arrive tout de suite � l'un des grands �v�nements de ma vie.

Je touchais � mes quinze ans; je savais lire et m�me �crire assez
correctement. Ma m�re �tait fi�re de moi, car � la _zaou�a_ de Chellata,
o� elle �tait all�e porter des pr�sents, on lui avait dit que j'�tais le
plus instruit des A�th-Aziz. Cela avait vivement touch� l'amour-propre
maternel. Tout le m�rite en revenait � elle et non � moi, puisqu'elle,
m'initiait pendant les mois d'hiver � son propre savoir. Mais elle n'en
�tait pas moins heureuse de pouvoir dire dans tout le village qu'Ali des
Bou-Sma�l n'�tait qu'un �ne, tandis que j'�tais, moi son fils, un vrai
savant.

Au printemps, elle exigea que je reprisse encore le chemin de la
_zaou�a_ pour y �tre initi� aux math�matiques, � l'astronomie, aux
r�gles de la versification et aux commentaires du Coran. Un soir en
remontant vers Chellata, je vis devant moi, dans l'�pre sentier, une
jeune fille, presque un enfant. Elle avan�ait p�niblement, courb�e sous
son fardeau trop lourd. Elle portait sur le dos une outre form�e d'une
peau de bouc qu'elle �tait all�e remplir � une source de la vall�e.

La pauvre petite, qui ne m'avait pas aper�u, fondit tout � coup en
larmes. Je m'approchai d'elle, �mu de piti�:

--Pourquoi pleures-tu? lui demandai-je.

--Je n'ai pas la force, me r�pondit-elle, de porter cette outre pleine
jusqu'au village, et si je reviens sans la provision d'eau, mon tuteur
me battra.

--A quel village, et qui est ton tuteur?

--Mon tuteur est le vieux Salem des A�th-Aziz.

Je connaissais le vieux Salem: bien plus pauvre que nous, il ne vivait
gu�re que d'aum�nes. Il �tait de tous les _th�ams_ [Repas de f�te.] pour
en d�vorer les reliefs, et � chaque _kh�rif_ [Cueillette de figues.] il
allait de jardin en jardin mangeant des figues au point de s'en rendre
malade.

--Mais, dis-je � l'enfant, je ne t'ai jamais vue chez le vieux Salem, et
j'ignorais qu'il e�t une pupille.

--Je ne suis chez lui que depuis deux jours, dit-elle. Orpheline et
n'ayant d'autre parent que lui, je suis tomb�e � sa charge. La _djem�a_
d'Agoussine, mon village, en a d�cid� ainsi.

--Comment t'appelles-tu?

--Yasmina.

--Eh bien, Yasmina, passe-moi ton outre pleine; je la porterai jusqu'au
sommet de la montagne.

Elle me regarda, �tonn�e. Les hommes, en effet, ne se chargent point de
pareils fardeaux. Ce sont les femmes et les filles qui vont chercher
l'eau � la source, et la remontent du fond de la vall�e sur leurs
�paules, dans des cruches ou dans des outres. Yasmina souriait
maintenant, et ses grands yeux d'azur brillaient de plaisir autant que
de surprise.

Je ne sais ce qui se passa en moi; mais ce regard et ce sourire me
remu�rent jusqu'au fond de l'�me. Quand je vivrais cent ans, je les
reverrais toujours. Jusqu'au col de Chellata nous n'�change�mes pas
trois paroles, et je ne sais non plus comment cela se fit, mais il me
parut que nous avions gravi le Djurjura en un instant. Je n'avais pas
senti sur mon �paule l'outre qui pourtant �tait fort pesante.

--Remets-moi cela sur le dos, dit-elle; je ne veux pas qu'on se moque de
toi.

Je fis ce qu'elle demandait.

--Mais demain, dis-je, iras-tu chercher l'eau comme aujourd'hui?

--Oui, demain et tous les jours.

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 26th Dec 2025, 10:14