En Kabylie by J. Vilbort


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Page 66

--N'est-ce pas, Mohamed, me disait-elle d'une voix vibrante, que tu
seras un bon _manefgui_ et que tu vengeras ton p�re!

Vous ne serez donc pas surpris que, tout petit encore, j'eusse d�j� au
coeur, � l'endroit des Bou-Sma�l, la haine qui ne pardonne pas. Si je
rencontrais quelqu'un de leur _kharouba_ maudite, je lui montrais le
poing. Un jour Ali, le fils a�n�, qui �tait � peu pr�s de mon
�ge,--j'avais alors huit ans,--s'avisa de traiter devant moi ma m�re de
pauvresse. Je me ruai sur lui, je lui arrachai les cheveux, je le mordis
� belles dents; je l'eusse d�chir�, si l'on ne m'e�t arrach� ma proie.
Je courus raconter mon exploit � ma m�re:

--C'est bien, Mohamed, dit-elle en m'embrassant; mais sois moins prompt
une autre fois: le temps n'est pas venu. D'ailleurs, tu sais bien que
pauvret� n'est pas honte devant Allah, ni m�me devant les hommes de ces
montagnes, et ce m�chant Ali, en se montrant si orgueilleux � propos
d'un bien mal acquis, a prouv� que ses parents ni lui ne sont de notre
sang.

Jusqu'alors je n'avais fait que jouer et vagabonder avec les enfants de
mon �ge, gar�ons et filles. Ma m�re Hasna avait eu seule toute la peine.
En �t�, elle b�chait, fumait, entretenait notre jardin; en hiver elle
filait la laine, ou, du matin au soir, elle restait assise devant son
m�tier � tisser. Elle fusait alors des burnous, des gandouras ou des
ka�ks d'une grande finesse. Elle les vendait un bon prix, et c'�tait l�,
avec les produits du potager et le lait des ch�vres, ce qui nous faisait
vivre. Moi je ne lui venais gu�re en aide qu'en menant � la commune
p�ture notre maigre troupeau.

Peu � peu j'en vins � me d�go�ter de jouer avec la cendre du _kanoun_
[Trou o� l'on fait le feu.], ou avec les pierres qu'on fait rouler du
haut de la montagne. J'eus honte aussi de ma paresse en voyant ma m�re
se donner tant de mal. Je me mis alors � ramasser, pour notre provision
d'hiver, le bois mort que les eaux entra�nent depuis les hauts sommets
jusque dans le lit des torrents. Je recueillis sur les chemins la bouse
des vaches, car nous manquions de fumier. En un mot, j'essayai de me
rendre utile; ce que voyant, ma m�re Hasna me dit:

--Puisque la raison t'est venue, Mohamed, il faut que tu apprennes �
lire et � �crire.

D�s le lendemain, elle m'envoya � la _zaou�a_ de Chellata, o� un
_thaleb_ donnait la premi�re instruction aux enfants. La distance �tait
grande: deux heures de marche � l'aller et davantage au retour quand on
gravit la cr�te djurjurienne. Allah soit lou�! il nous a donn� � tous
ici de bonnes jambes.

Il y avait bien une autre _zaou�a_ plus pr�s de nous, sur le territoire
m�me de la tribu, au pied du pic que vous voyez l�-bas, et � c�t� duquel
vous venez de passer, le Tiziberth; mais ma m�re n'avait garde de
confier mon �ducation � ces _tolbas_ de Ben-Dris, qui ne m'eussent gu�re
appris qu'� d�trousser les voyageurs dans la vall�e de l'Oued-Sahel.

Nous �tions huit ou dix de notre _sof_ [Parti.] qui partions chaque
matin et revenions chaque soir. Ma m�re Hasna avait dit � nos amis:

--Envoyez donc vos fils avec le mien chez le _thaleb_: il ne nous en
co�tera que peu de chose, et nos enfants en retireront beaucoup de
profit.

On avait �cout� ce sage avis. Mais ne voil�-t-il pas que les Bou-Sma�l,
s'apercevant que les Ameur-el-A�n voulaient donner l'instruction � leurs
fils, se sentirent pris de jalousie! Un matin, comme nous arrivions �
l'extr�mit� du col de Chellata, du c�t� de la _K'bila-Ousammeur_ [La
Kabylie m�ridionale.], nous d�couvrons � mi-chemin de la _Maison d'or_
une bande de gar�ons de notre �ge. Ils �taient dix � douze. Ah! nous les
e�mes bient�t reconnus pour nos ennemis! Mon premier mouvement fut de
leur courir sus; mais je me souvins fort � propos d'une parole que ma
m�re m'avait bien des fois r�p�t�e: le temps n'est pas venu. Mes
camarades s'�tonnaient de ma prudence:

--_Choua_! Choua_ [Doucement! doucement!]! leur dis-je; et j'ajoutai
gravement: le temps n'est pas venu.

A la t�te de cette bande �tait Ali, le fils a�n� du meurtrier de mon
p�re. Il se souvenait de mes dents et de mes ongles; car lorsque nous
nous rencontr�mes chez le _thaleb,_ il s'�carta de moi et ne r�pondit
pas � ma grimace. Au retour nous pr�mes par deux sentiers diff�rents,
moi suivi de mes camarades, lui des siens. Les choses continu�rent de la
sorte pendant quelque temps. Si le hasard nous mettait en pr�sence, soit
aux abords de la _zaou�a,_ soit au col de Cheilata par o� il nous
fallait passer tous, nous �changions des pierres. Voil� tout. Le p�re
d'Ali lui avait sans doute recommand� de ne point me chercher querelle;
et moi, de mon c�t�, je me faisais un devoir de respecter la volont� de
ma m�re.

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Books | Photos | Paul Mutton | Fri 26th Dec 2025, 8:07