En Kabylie by J. Vilbort


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 63

--Ah! ah! nous n'y sommes pas. Pour y arriver, Madame, il te faudra cinq
minutes, cinq toutes petites minutes.

En effet, nous descendons, nous descendons, jamais nous ne finirons de
descendre. Et quel escalier! Si les sapeurs fran�ais l'ont retouch� en
1857, les montagnards kabyles l'ont depuis refait � leur mode. Nous
rencontrons bon nombre de gens qui se rendent � un march� ou en
reviennent. Un jeune homme, presque aussi beau que celui d'A�th-Aziz,
vient regarder madame Elvire en plein visage. Bel-Kassem lui crie d'une
voix terrible: �Qui t'a permis de regarder cette illustre maraboute?� et
il aveugle le t�m�raire en lui tirant brusquement son burnous sur les
yeux. Celui-ci, effray�, s'enfuit � toutes jambes, ne sachant pas au
juste ce qu'il a le plus � craindre: la col�re d'une maraboute ou la
vengeance d'un mari. Et nos muletiers de rire, et Bel-Kassem de se
tordre sur le dos de sa b�te, o� il est remont�.

--Voici encore un marabout, dit le guide en riant, un marabout qui
pique!

C'�tait un buisson �pineux, tout couvert de petits morceaux d'�toffe,
blancs, rouges, noirs, et de touffes de crin ou de laine, les uns
arrach�s au burnous, au ha�k, � la coiffure; les autres, au b�t, au cou
du mulet, � la toison du b�lier ou de la brebis.

Si vous avez une commission pour la Mecque, ajouta Bel-Kassem moqueur,
vous n'avez qu'� la lui remettre; et dans six mois, s'il pla�t � Allah,
vous viendrez lui demander la r�ponse.

Il f�t part aux muletiers du pr�cieux avis qu'il venait de nous donner,
et, ce fut entre eux � qui rirait le plus fort, tous oubliant qu'ils
marchaient depuis six heures du matin et qu'il en �tait cinq du soir.

Le soleil inclin� vers l'horizon projetait sur la vall�e de l'Oued-Sahel
les grandes ombres djurjuriennes, lorsque nous arriv�mes chez le ma�tre
de la Maison d'or. Pendant la descente, le beau kabyle n'avait cess� de
guider le mulet de madame Elvire, veillant avec un soin extr�me � ce que
la b�te ne f�t pas le moindre faux pas. Le long de la route, il nous
avait racont� son histoire. La voici.

CHAPITRE IV

LES EXPLOITS DU BEAU KABYLE.

--Je suis de la tribu des A�th-Illoula-Oumalou. C'est l'une
des six des _Zouaoua Cheraga_ [Zouaoua de l'Est.]. Nous
occupons depuis un temps imm�morial les hautes pentes de
la montagne entre la cr�te du Djurjura, les A�th-Illilten, les
A�th-Idjer et les A�th-Zikki. Ceux de nos villages qui ont leurs terres
du c�t� de la vall�e ne manquent point de bien-�tre. Ils s'entendent
surtout � la culture des figuiers: aussi vient-on leur en acheter de
plusieurs lieues � la ronde. Nous, les Kabyles du rocher, nous sommes
moins favoris�s. Dans la haute montagne, nous n'avons ni figuiers ni
oliviers, � peine assez de terre pour ne pas mourir de faim, nous et
notre b�tail, que nous mettons pa�tre, en �t�, sur la cime du Djurjura.
Mais, durant les longs mois d'hiver, nous vivons avec nos b�tes dans nos
maisons, enfouis sous la neige et au milieu de temp�tes si terribles,
qu'on s'�tonne que le rocher lui-m�me puisse r�sister � la violence du
vent. Nous n'avons gu�re alors pour nourriture que de la farine de
glands doux m�lang�e d'un peu de farine de froment ou d'orge, et notre
b�tail ne fait pas meilleure ch�re. Nous ne pouvons lui donner que des
feuilles de fr�ne avec un peu de foin ou de paille.

Il faut croire qu'Allah a mis dans le coeur des hommes un ardent amour
pour les lieux o� ils sont n�s: car, si mis�rables que nous soyons, bien
peu parmi nous imitent les Kabyles des autres tribus, qui, au printemps,
�migrent en grand nombre et reviennent � l'automne, apr�s avoir gagn�
quelque argent dans le Tell. Beaucoup vont chercher fortune jusqu'� la
fronti�re du Maroc. Mais il semble que notre rocher nous attache
d'autant plus fortement � lui, qu'il nous fait la vie plus dure.

Ce n'est pas pourtant que nos anc�tres y soient n�s et qu'ils nous aient
donn� le go�t de la mis�re. Ma m�re Hasna, qui appartient � une famille
de savants marabouts, m'a souvent racont� que, dans les premiers temps,
les Kabyles du rocher, et notamment les A�th-Illoula-Oumalou, comme
leurs voisins les Mlikeuch, habitaient la plaine fertile qui s'�tend le
long de la mer, entre l'Atlas, Dellys, Alger et au del� d'Alger. Ils
poss�daient de nombreux troupeaux et vivaient dans l'abondance. C'est l�
une tradition qui s'est conserv�e dans plusieurs tribus de la haute
montagne. Longtemps, oui, bien longtemps avant les _Roumis,_ une masse
d'hommes portant des armes terribles �taient venus de l'Ouest ou bien du
Nord par la mer; ils s'�taient jet�s comme des lions et des panth�res
sur ces heureuses populations du Tell, les refoulant devant eux et
contraignant quiconque ne voulait point subir leur joug � chercher un
refuge dans les rochers djurjuriens. Il n'est donc pas surprenant que
les p�res de nos p�res nous aient transmis, avec leur sang, un si grand
amour de la libert�. Plut�t que d'accepter la servitude, ils ont pr�f�r�
renoncer, pour eux et pour leurs descendants, au paradis terrestre.
Depuis ces temps inconnus, nous avons, du haut de nos _thamgouth,_ brav�
tous les conqu�rants �trangers qui passaient au pied du Djurjura, dans
la vall�e de l'Oued-Sahel. A leurs vaines menaces, nous r�pondions par
des moqueries accompagn�es d'une gr�le de pierres; les Mlikeuch leur
jetaient un chien en signe de m�pris; les A�th-Iraten leur faisaient le
m�me accueil dans la vall�e de l'Asif-S�baou. Voil� pourquoi nous nous
sommes toujours consid�r�s, eux et nous, comme les _manefguis_
[Patriotes.] par excellence. Et, lorsqu'en mai 1857, nous v�mes le
drapeau fran�ais flotter sur le Souk-el-Arba, nous refus�mes d'abord
d'ajouter foi au t�moignage de nos yeux. Puis, oblig�s de nous rendre �
l'�vidence, nous d�cid�mes avec nos alli�s des Illilten, des Idger, de
Ithourar, des Yahia et des Zikki, de nous d�vouer au salut de
l'ind�pendance kabyle.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Fri 26th Dec 2025, 1:10