En Kabylie by J. Vilbort


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Page 55

--Et nos provisions de bouche, o� et quand les mangerons-nous?

--Ne vous ai-je pas pr�venus, r�pond Bel-Kassem, qu'elles �taient
inutiles? Pour voyager en Kabylie, il ne faut ni argent ni vivres.

--Vive la Kabylie! c'est le plus beau pays du monde et le plus
hospitalier.

Nous montions depuis quatre heures, et d'instants en instants la nature
�tonnait nos regards par sa grandeur plus imposante et plus sauvage. De
prodigieux rochers s'offraient de toutes parts dans un d�sordre
magnifique: h�riss�s, tordus, d�chir�s, boulevers�s, pareils � des
cyclopes que la foudre aurait renvers�s et jet�s les uns sur les autres,
puis soudain p�trifi�s au milieu des convulsions de leur rage
impuissante. �� et l�, sur leurs flancs escarp�s, des champs d'orge, des
figuiers, des oliviers d�j� rares, m�laient comme un peu d'esp�rance �
cette aridit� d�sol�e. Au pied de la montagne g�ante, Thifilkouth n'est
plus qu'un point dans l'infini. Vingt ou trente villages ressemblent,
sur leurs pitons, � des ruches d'abeilles. Bient�t les oliviers ont
enti�rement disparu, les figuiers sont moins nombreux et moins robustes;
des ch�nes-zen, des pins, quelques c�dres, forment des bouquets d'un
vert sombre. Nous respirons un air tr�s-vif, presque froid, et nous
entendons la petite toux de madame Elvire. Nous atteignons enfin le
plateau d A�th-Aziz; le col de Chellata est aussi devant nous,
�blouissant de neige. Si nous allions nous y d�salt�rer? D'ici � la
cr�te djurjurienne, il n'y a plus qu'un pas; mais, pour le faire, il
faut une heure encore, une heure de rude mont�e sur la roche nue et
presque verticale. Reposons-nous un peu et mangeons la _diffa_ qu'a fait
pr�parer en notre honneur le beau Kabyle.

Sur le petit plateau, devant le village, pousse une herbe courte et
drue, �maill�e de fleurettes: asseyons-nous sur cette riante pelouse. A
peine y avons-nous pris place, que la _djem�a_, avec l'_amin_ et les
_dhamen_ en t�te, s'avance vers nous; elle vient nous saluer. Ces hommes
ont le m�me aspect orde et mis�rable que ceux de Thifilkouth: plusieurs
portent la faim estampill�e sur leurs visages blafards et h�ves,
d'autres n'ont que des loques pour couvrir leur nudit�; quelques-uns
sont d�vor�s par d'effroyables ulc�res, ou c'est la teigne qui leur
ronge le cuir chevelu. Nous remarquons un albinos parmi eux.

L'amoureux de madame Elvire et l'_amin_, dont la physionomie est
intelligente et douce, ont sur tous un air de sup�riorit�; ils ne sont
pourtant que leurs �gaux, car le plus mis�rable a sa voix au conseil, et
c'est la sienne qui est la plus �cout�e, si elle est la plus �loquente.
L'_amin_ nous complimente au nom de la _djem�a_; il nous remercie, en
quelques mots simples et dignes, de l'honneur que nous daignons faire �
son village en y acceptant la _diffa_. Il s'excuse de ne pouvoir nous
traiter selon notre m�rite; il voudrait nous servir sur un plat d'or les
mets les plus exquis, mais les A�th-Aziz sont pauvres, et nous leur
ferons la gr�ce d'agr�er ce qu'ils nous offrent avec le coeur. Cette
petit harangue nous touche vivement. M. Jules essuie une larme, il veut
absolument laisser � ces bonnes gens des marques de notre
reconnaissance.

--Gardez-vous-en bien, lui dit Bel-Kassem: ils sont pauvres, mais fiers.
Vous n'avez pas affaire � des Arabes!

--Mais nous ne voulons pas que ce brave _amin_ se mette en d�pense pour
nous.

--Ce n'est pas lui qui payera la _diffa_, mais le tr�sor du village; et
m�me, comme vous �tes plusieurs et gens de cons�quence, les frais en
seront support�s par toute la tribu des A�th-Illoula-Oumalou.

--Et si ce sont des voyageurs ordinaires?

--Chaque _kharouba_ les nourrit � son tour; quiconque refuse de les
recevoir est frapp� d'amende, d�s qu'ils ont d�pass� la cinqui�me
maison.

A l'entr�e du village lutine une bande de petits sauvages, gar�ons et
filles. Ils ont bien envie de venir � nous, mais ils n'osent. Les plus
hardis s'avancent un peu: au moindre geste de l'un de nous, ils
repartent � toutes jambes, et cette marmaille se r�fugie dans les
maisons. Au bout d'un instant, le m�me jeu recommence. Le Caporal, le
Conscrit et moi nous nous dirigeons vers eux en criant: _Soldis!
soldis!_ Ah! comme ils courent et comme ils piaillent! Ils ne
reviendront plus. Bah! ils ont bien peur, mais la curiosit� est la plus
forte, et surtout la convoitise. En voici un, puis deux, puis trois. Ils
sont l� tous; � leur t�te une petite fille de quatre � cinq ans. Elle
est ravissante avec ses grands yeux �tonn�s et ses cheveux �bouriff�s.
Comment l'apprivoiser? L'_amin_ nous vient en aide: �Mettez vos mains
sur vos yeux, leur crie-t-il, et approcher: vous n'aurez plus peur des
_Roumis_.� Toute la bande ainsi aveugl�e se pr�cipite en avant, et c'est
maintenant � qui arrivera le premier. �A bas les mains!� crie l'_amin_.
Ils nous regardent la bouche ouverte, les yeux �carquill�s et comme
frapp�s de stupeur. Mais bient�t nos _soldis_ ont raison de la crainte,
m�me chez les plus timides. Et quand ils se sont disput� les derniers,
toute la bande s'attache � nos pas, tandis que de petites voix d'une
douceur singuli�re r�p�tent incessamment: _Soldis! soldis!_ Accompagn�s
de ce cort�ge enfantin, nous faisons tout le tour du plateau o�
remontent les femmes qui sont all�es chercher de l'eau dans la vall�e.
Plusieurs de ces malheureuses n'ont pas m�me de cruches; elles les
remplacent par des outres en peau de chevreau, qu'elles portent sur leur
dos mal prot�g� contre l'humidit� par une natte en sparterie. L'_amin_
nous annonce que le kouskoussou est � point. Il nous invite � le suivre
dans sa maison. Nous retournons vers le G�n�ral.

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 25th Dec 2025, 7:06