En Kabylie by J. Vilbort


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Page 53

Nous voici sur l'autre bord; l'ascension du Djurjura commence. Nous ne
montons que tr�s-lentement: presque partout le rocher se dresse � pic,
le sentier est impraticable. Le g�ant s'indigne de notre audace et
accumule les asp�rit�s sous nos pas. Nos braves b�tes sont blanches
d'�cume, les muletiers redoublent leurs _har'r har'r_. Les ronces
enchev�tr�es nous d�chirent les mains et le visage. Le voile du G�n�ral
est en lambeaux; le Conscrit manque, nouvel Absalon, de demeurer
accroch� � une grosse branche, non par ses cheveux qui sont rares, mais
par le collet de son habit. Rien ne nous arr�te, et le rire argentin de
madame Elvire �clate comme une joyeuse fanfare annon�ant la victoire.

La merveilleuse masure! comme elle a �t� hardiment jet�e sur cette
ravine o� se pr�cipitent les neiges fondues! Mais voyez: par une baie,
plusieurs femmes, couvertes de ha�ks assez propres, nous regardent en
souriant. Quel tableau! Aucun peintre ne viendra-t-il en Kabylie tout
expr�s pour le copier, et exposer au prochain Salon de Paris le plus
ravissant paysage du monde? C'est un _thisirth_ [Un moulin � eau.].
L'eau prise au _tharza_ [Ruisseau.] est amen�e par l'_amzieb_ [Rigole
creus�e dans un tronc d'arbre.] jusqu'au mouvement de l'_ar'aref_ [La
meule.]. Ces dames ont fait un peu de toilette pour aller au moulin.
Elles sont coquettes pour elles-m�mes, ne pouvant l'�tre avec les
hommes; et c'est � qui sera la mieux mise, � qui �talera les plus riches
bijoux. La meule broie le bl� avec lenteur; mais elles ne sont pas
press�es. C'est un plaisir que d'aller au moulin, o� l'on peut se
montrer, babiller et m�dire. Et bien � plaindre sont celles des villages
qui n'ont pas de _thisirth_! Outre qu'il leur faut �craser le froment,
l'orge ou le sorgo, presque grain � grain, entre les deux pierres d'un
m�chant moulin portatif, une fortune mar�tre leur refuse encore cette
supr�me joie d'aller tailler des bavettes.

--N'y a-t-il pas de f�tes, Bel-Kassem, auxquelles les femmes prennent
part?

--Nous avons les _eurs_, festins et r�jouissances � l'occasion d'un
mariage ou de la naissance d'un gar�on. Alors on invite ses amis. Les
hommes viennent avec leurs fusils...

--Et leurs femmes?

--Non, Madame: ils les laissent � la maison.

--Que me disais-tu? Elles ne sont donc pas de la f�te?

--Celles de la _kharouba_ o� l'_eurs_ se donne pr�parent le kouskoussou,
et s'en r�galent apr�s les hommes, s'il en reste. Mais, pour qu'il en
reste, vous n'imagineriez jamais combien il en faut. Le Kabyle, qui est
tr�s-sobre en temps ordinaire, plut�t par n�cessit� que par go�t, mange,
ces jours-l�, � lui seul, un ou deux plats comme celui qu'� vous cinq,
hier soir, vous n'avez pu qu'entamer � peine. Aussi arrive-t-il souvent
que les femmes de la _kharouba_ d'un voisin ou d'un ami en pr�parent
aussi quelques-uns aux frais de l'amphitryon. Lorsque les plats sont
vides, si viles qu'un chien n'y trouverait miette � mettre au bout de sa
langue, les hommes font br�ler la poudre pour se griser du bruit et de
la fum�e, comme un Roumi de vin; ou bien, en causant et gesticulant, ils
forment un cercle au centre duquel s'accroupit un parent du ma�tre de la
maison. Il d�ploie un morceau d'�toffe, puis y d�pose un bracelet
d'argent en signe d'amiti�, et un peu de bl� en sign� d'abondance. La
conversation languit et cesse. Chacun jette son offrande sur le
mouchoir. Parfois l'amour-propre s'en m�le: d'abord, c'est une pluie de
cuivre, puis une gr�le d'argent. On a vu des fous se d�pouiller
enti�rement pour l'emporter sur un rival en vanit�. L'amphitryon serre
ces offrandes dans son grand coffre; elles en sortiront au prochain
_eurs_, pour retomber sur le mouchoir.

--Et les femmes?

--Elles rangent les plats. Et si les maris sont de bonne humeur, elles
viennent voir danser les veuves, car il n'y a que les veuves qui dansent
en Kabylie.

--Pour le coup, dit le G�n�ral, la plaisanterie passe les bornes.

--Faut-il que je fasse le grand serment, et que je dise: �Par Dieu, par
ce Dieu unique qui sait tout, qui voit tout, qui entend tout, par ce
Dieu cl�ment et mis�ricordieux � qui rien n'�chappe,� je jure que les
veuves seules dansent en Kabylie? Quand l'_athobel_ [Tambourin.] et la
_ch�ta_ [Fl�te.] font leur musique, il faut voir comme elles se
tr�moussent!

--Les veuves ont-elles donc des moeurs l�g�res?

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Books | Photos | Paul Mutton | Thu 25th Dec 2025, 2:47