En Kabylie by J. Vilbort


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 52

Et ses yeux se referment, sa t�te retombe. Le Caporal secoue le dormeur
par les jambes, le G�n�ral le menace de la cruche � l'eau. Je cours
ouvrir la porte toute grande, appelant � leur aide la fra�cheur du
matin.

Dans la cour, les muletiers sanglent leurs b�tes; le Marseillais fume sa
pipe et Bel-Kassem sa cigarette. Les hommes de la _kharouba_ babillent
entre eux en attendant notre r�veil. Le soleil levant dore au loin la
cr�te djurjurienne, et rit tout autour de nous dans les arbres, dont il
fait miroiter les feuilles. Toutes les joies de la vie �clatent dans la
nature qui se r�veille, rafra�chie et embellie par le repos. Aux _hou!
hou!_ stridents a succ�d� le concert m�lodieux des rossignols, des
fauvettes et des merles; et les fant�mes de la nuit n'ont laiss� sur nos
l�vres que le sourire de la piti� ironique. Les mulets sont sangl�s, les
bagages charg�s: tout est pr�t pour le d�part. Le G�n�ral est assis sur
son b�t comme une majest� sur le tr�ne.

Tandis que Bel-Kassem et les muletiers interrogent le ca�d sur le
meilleur chemin � suivre, une vieille, cass�e, �dent�e, recroquevill�e,
la plus affreuse des trois sorci�res de Macbeth, se glisse craintive et
se cachant des hommes de la _kharouba_, jus'qu'aupr�s de madame Elvire,
qui, involontairement, laisse �chapper un cri.

--Que me veux-tu? lui dit-elle.

Une main brune, calleuse, d�charn�e, saisit le voile de gaze verte.

--Mais je ne peux pas m'en passer. Veux-tu autre chose? Tiens, mon
mouchoir.

Un mouchoir de fine batiste, brod� et parfum�. La vieille secoue la
t�te, sa griffe demeure accroch�e au voile vert.

--Veux-tu mon �ventail?

Nouveau refus de la sorci�re, qui serre plus vivement encore et froisse
entre ses doigts crochus le fr�le objet de sa convoitise.

--_Makache! makache_ [Non! non!]! s'�crie le G�n�ral impatient�.

Et la vieille, d��ue dans son espoir, furieuse, s'�loigne brusquement en
jetant, � la jeune et belle _Roumi_ un regard charg� de tout le venin
des vip�res.

--Partons, dit M. Jules � madame Elvire: cette horrible m�g�re veut vous
assassiner. Bel-Kassem!

--Monsieur?

--Que faut-il donner au ca�d?

--Gardez-vous bien de rien lui donner: ce serait lui faire injure.
L'hospitalit� kabyle...

--Se donne et ne se vend pas, dit madame Elvire. Vraiment! nous sommes �
l'Op�ra-Comique. Je vous en fais juges: tout ce que les librettistes et
les d�corateurs ont pu imaginer de plus invraisemblable ou de plus
chatoyant pour divertir les blas�s de Paris, n'est-il pas de mille
coud�es au-dessous de ce que nous voyons? Sur quel th��tre vous a-t-on
montr� ce d�cor, et quelle actrice eut jamais assez de talent pour
�galer cette vieille?

Appuy� sur son b�ton et boitant, le ca�d nous accompagne jusqu'� la
sortie du village. Comme la veille, � l'arriv�e, une fourmili�re orde et
grouillante d'hommes, de vieillards et d'enfants accourt effar�e, et se
presse avide de nous voir. Enfin! nous en voici d�barrass�s; nous
poussons un soupir d'aise et commen�ons la descente du mamelon de
Thifilkouth par un chemin ravin�, pierreux et boueux, le fr�re jumeau de
celui d'hier. Nous cheminons entre des cl�tures form�es de pierres
s�ches et de ronces en libert�, qui souvent nous enlacent dans leurs
longs bras gr�les, h�riss�s d'�pines. Ailleurs ce sont des vignes folles
qui nous prodiguent les baisers de leurs pampres et inondent nos visages
des larmes de la ros�e. Au bas du mamelon bruit une cascade et gronde un
torrent. Un �pais rideau de verdure nous d�robe cette eau, dont la
m�lop�e grave domine, comme un chant d'orchestre, les broderies vocales
des virtuoses ail�s. Le berceau de feuilles et de fleurs sous lequel
nous marchons nous cache aussi le grand paysage. Mais quel bien-�tre et
quel ravissement dans ces jardins enchant�s o� les rayons solaires se
jouent en des milliards de prismes, tandis que nos poitrines
s'emplissent d'un air pur, frais et tonique, qu'embaument des orangers
et des citronniers en fleur! Madame Elvire est plus gaie que si elle
avait dormi toute la nuit sur le duvet. Au bout d'une demi-heure nous
atteignons le fond du ravin. Oh! la jolie cascade d'opale! Elle sort
d'une �troite crevasse ouverte au flanc du rocher et tombe, � vingt
pieds plus bas, dans un lit de pierres de toutes grandeurs et de toutes
formes. Alors c'est un torrent �cumant qui roule imp�tueux sur une pente
rapide, se heurtant et se brisant � mille obstacles vers
l'Asif-bou-B�hir, un affluent du S�baou. J'ai d�j� vu ce paysage; o�
donc? dans les Pyr�n�es. Nous traversons le gave africain sur quelques
grosses pierres jet�es l� au hasard. Le gu� n'est pas sans p�ril; le
sabot des mulets glisse sur le gr�s poli par l'eau, et le courant
furieux menace de nous entra�ner au fond d'un gouffre. Mais la journ�e
d'hier, la nuit surtout, nous a tous aguerris, et le danger devient une
jouissance.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Thu 25th Dec 2025, 0:26