|
Main
- books.jibble.org
My Books
- IRC Hacks
Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare
External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd
|
books.jibble.org
Previous Page
| Next Page
Page 48
Mais � qui ces beaux yeux noirs qui apparaissent de temps � autre pr�s
d'une urne colossale et qui brillent alors comme deux �toiles pour
dispara�tre aussit�t que quelqu'un de nous les regarde, les admire?
C'est Zohra, la plus jeune femme du ca�d, un bijou pr�cieux, une perle
rare: il l'a pay�e mille francs! Elle se cache derri�re le _koufi_
[Amphore de deux � trois m�tres de hauteur.] aux provisions: la pauvre
petite a peur, non pas de nous, mais de son mari, qui est jaloux; elle a
peur d'�tre grond�e.
--Bel-Kassem, prie-la donc d'approcher.
--Elle en a bien envie; mais elle ne viendra pas, � moins que le ca�d
n'y consente.
--Ca�d, appelle madame Zohra: je d�sire lui faire un petit cadeau.
Madame Zohra accourt � un signe de son seigneur et ma�tre. Elle sort de
sa cachette et s'avance vers nous, confuse et les paupi�res abaiss�es.
Quelle souplesse dans ses mouvements! quelle gr�ce dans toute sa
mignonne personne, dont le ka�k dessine les belles formes! Elle demeure
interdite devant Madame Elvire, qui d�tache de son cou pour la lui
donner une petite cravate �cossaise, bleue et verte. Madame Zohra la
prend entre ses mains d'enfant et la contemple ravie, sans oser lever
les yeux. Nous pouvons la regarder � l'aise. Elle offre le type grec
dans le parfait ovale de son visage, avec je ne sais quel attrait de
sauvagerie. Le nez droit, aux narines d�coup�es finement, rapproch�es et
presque closes, s'attache par une ligne noble au front un peu bas, mais
admirablement encadr� dans les ondes aux reflets bleus d'une superbe
chevelure noire. Les tresses naturelles forment, m�l�es � des tresses de
laine noire, de grands anneaux qui s'arrondissent de chaque c�t� de la
t�te. Aux oreilles brillent les cercles des _koune�s_ incrust�s de
corail, et les cha�nettes du _thacebth,_ d�cor�es de paillettes
multicolores. Ces ornements donnent un �clat extraordinaire au teint
mat, d'un blanc dor�, ainsi qu'� deux grands yeux lumineux et doux,
orn�s de cils soyeux et surmont�s d'arcades fi�res. La bouche est
petite, sensuelle; chaque l�vre descend, par une courbe lascive, vers
une fossette espi�gle qui rit aux deux coins de la bouche et en corrige
un peu l'�loquence phryn�enne. Le cou, les �paules et les bras nus nous
d�robent presque, sous leurs bijoux, la puret� des lignes, l'�l�gance
des contours. Madame Zohra, sous sa tunique courte, nous montre la jambe
et le pied de V�nus, et c'est � peine si sa main le c�de pour la
perfection � celle de madame Elvire. Elle est moins blanche et les
ongles en sont teints de henn�.
Mais voici que madame Lalla, la seconde femme du ca�d, regarde d'un oeil
d'envie le pr�sent de madame Zohra. C'est une grande et belle personne �
la peau tr�s-brune, aux prunelles flamboyantes. Vraiment, ca�d, il faut
beaucoup d'audace pour imposer une rivale � ces yeux-l�, et vous avez
d�fi� le diable! Mais vous n'�tes pas un homme ordinaire puisque vous
avez pu, quoiqu'aussi blond qu'un juge de paix d'Alsace, engendrer avec
elle ce petit Hercule de bronze. Madame Touffa, la m�re du fils a�n� de
la maison, un bel adolescent de quinze � seize ans, convoite, elle
aussi, la cravate �cossaise malgr� ses rides pr�coces et son visage d�j�
fl�tri. Il ne faut pas que la f�te tourne au tragique: le G�n�ral se
d�pouille de deux bracelets en verroterie de Venise, et les offre � ces
dames. _Allah isselmec_! lui disent-elles enchant�es.
Aux autres, petites ou grandes, nous distribuons des pi�ces d'argent,
qui orneront demain, ce soir m�me, leur _thazath_ ou leur _thacebth_.
Toutes attachent sur madame Elvire le regard fixe du sauvage. Son
v�tement semble les plonger dans la stupeur; quelques-unes, apr�s un
combat entre la curiosit� et la crainte, avancent une main inqui�te pour
en toucher l'�toffe. La montre surtout, qui brille suspendue � une
cha�ne d'or arabe en lamelles martel�es, para�t exciter chez elles une
admiration sans bornes. Chacun de nous ouvre sa montre pour leur en
faire voir le m�canisme anim�. L'admiration devient de la peur.
Bel-Kassem �clate de rire.
--Elles me demandent, dit-il, quelles sont ces b�tes qui crient comme
des grillons et pourquoi vous les portez sur vous.
Nous passons en revue l'ameublement kabyle. Au fond de l'unique salle,
contre le mur, se dresse un _azetha,_ m�tier sur lequel madame Touffa ou
madame Lalla, j'ai oubli� laquelle, tisse un burnous grossier. A droite,
contre l'_ada�nin,_ o� un petit boeuf nous contemple en ruminant d'un air
b�at, est la _doukana_ du ca�d avec sa natte en sparterie. Dans un
angle, repose sur quatre pieds massifs un �norme coffre en noyer,
confectionn� par un habile ouvrier des A�th-Abb�s, qui l'a histori� de
sculptures o� l'ogive se marie � la ligne droite, curieusement enlumin�
en jaune, bleu et rouge. C'est l�-dedans que le Kabyle serre ce qu'il a
de plus pr�cieux: son fusil, son argent, les burnous, les ha�ks et les
bijoux de la famille. Pr�s de l� est l'urne colossale derri�re laquelle
se cachait tout � l'heure madame Zohra, le _koufi_ qui renferme la
provision de bl�, puis divers pots et plats de terre, tous fa�onn�s par
ces dames, et cuits � un feu qui n'exige ni bois ni charbon: le soleil!
C'�tait des _thougni,_ des _thasselth,_ des _thainth_ de toute grandeur,
pour cuire les aliments; des _thakabeth,_ jarres pour l'huile; les
_aiedhid,_ cruches � l'eau; des _aboukal,_ terrines pour le lait, le
beurre, ou le miel, ou bien encore des _djefoun,_ plats peints, vernis,
illustr�s de dessins bizarres. Quant aux tapis, fauteuils, chaises,
tables, fourchettes, linge et cristaux, tout cela n'y brillait que par
son absence, la propret� surtout! Cet int�rieur, quoique celui d'un
personnage, avait un aspect saisissant de sauvagerie orde et mis�rable.
L'essence de burnous et le parfum de la bouse, m�l�s � la fum�e �cre du
foyer, nous saisissait aux narines et � la gorge. Ces femmes, ces
hommes, ces enfants au masque farouche, aux prunelles dilat�es et fixes,
fantastiquement �clair�s par une lampe aux formes �tranges, nous
rejetaient � deux mille ans en arri�re, dans le sein de nos anc�tres
barbares.
Previous Page
| Next Page
|
|