En Kabylie by J. Vilbort


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 44

Pendant quelques instants, nous longeons l'enceinte dont le soleil
couchant colore les tours en carmin. Devant nous, au milieu d'un massif
de verdure, est couch� Thifilkouth sur une cr�te bizarrement accident�e;
et plus loin, derri�re le village, se dresse, imposant et superbe, le
Djurjura, envelopp� de pourpre. Ces murs et ces tours d'aspect �trange,
ce prodigieux amas d'arbres et de fleurs o� la lumi�re et l'ombre
dessinent en se jouant des arabesques multicolores, ce village
fantastique appuy� sur le pied d'un colosse rouge, tout ici, comme sur
le rempart du fort National, nous transporte en pleine f�erie.

Nous passons sous plusieurs vo�tes basses et noires, puis sous une porte
qui fait corps avec les maisons de Thifilkouth. Elle donne acc�s dans
une salle vaste et sombre o� plusieurs Kabyles sont assis, accroupis,
couch�s sur des dalles qui forment, � trois pieds du sol, de larges
bancs le long des murs et autour des piliers.

--Est-ce encore une maison de garde, Bel-Kassem? il y a l� des
meurtri�res.

--C'est le _themega�th,_ la salle de la _djem�a_; elle s'y r�unit une ou
deux fois la semaine. C'est aussi un lieu ouvert � tous, o� jeunes et
vieux viennent � chaque heure du jour, pour s'entretenir de la chose
publique et de leurs propres affaires.

Combien de burnous ont poli ces dalles grossi�rement taill�es, combien
de g�n�rations les ont creus�es par places en venant s'y asseoir! Il y a
du sauvage dans le masque, impassible de ces hommes qui nous regardent.
Nous les saluons de la t�te; un seul, le plus jeune, nous r�pond:
_Ouach-halek_! C'est le salut kabyle. Les autres demeurent silencieux;
pas un muscle de leur visage ne bouge.

--Bel-Kassem, sommes-nous donc ici chez des Arabes?

--Non, Madame; mais ce sont des rustres, des Kabyles peu civilis�s.

Le guide les raille sur leur grossi�ret�; il nous donne apparemment pour
des gens d'importance, car tous se l�vent pour nous mener chez le ca�d;
tous, except� un, qui nous tourne le dos: il a bien quatre-vingt-dix
ans. Son cr�ne est d�nud�, une longue barbe blanche lui descend jusqu'au
milieu de la poitrine. Sur son �paule repose sa fid�le _gadoum,_ qui ne
l'a jamais quitt�; � son c�t� droit est son _debouz,_ son b�ton ferr�,
avec lequel il a assomm� plus d'un ennemi dans sa jeunesse. Il porte le
_tabenta,_ tablier de cuir, qui fait partie du costume de guerre. Son
burnous orde, bruni par sa sueur presque s�culaire, est perc� de
plusieurs trous de grandeur in�gale.

--Ce sont, dit Bel-Kassem, des balles qui les ont faits. Les petits
proviennent de balles kabyles; les grands, de balles fran�aises. Ce
vieux s'est battu toute sa vie, et il est aussi fier de son burnous
trou� qu'aucun de vos soldats peut l'�tre de son ruban rouge.

Nous suivons une rue �troite, bord�e de maisons basses, sans fen�tres;
les eaux m�nag�res ruissellent entre les pierres, toutes les ordures du
village s'y �talent sans vergogne. Cette rue monte ou descend court �
droite, puis � gauche, en zigzag. C'est un vrai casse-cou, parsem� �� et
l� de flaques croupissantes et puantes. Chaque maison y a acc�s par une
porte pratiqu�e dans son mur et qui ouvre sur une cour int�rieure.

A cette porte, qui s'entre-b�ille d�s que nous l'avons d�pass�e,
apparaissent des visages de femmes, curieux et effar�s: tr�s-beaux
parfois, jolis souvent, mais peu ou point du tout lav�s. Un cort�ge
nombreux d'hommes et de petits gar�ons nous accompagne, grossissant sans
cesse et se pressant contre nous, na�vement effront�s. L'affluence est
grande surtout autour du G�n�ral.

Jamais Parisienne n'a mis le pied dans ce village berb�re, et c'est �
qui la verra de plus pr�s, � qui pourra palper l'�toffe de son manteau.
Bel-Kassem et le beau Kabyle s'�vertuent en vain � �carter cette foule
importune. Le Caporal s'alarme, le Conscrit s'irrite, le Marseillais
jure, les muletiers crient: _Choua_! _choua_ [Doucement! doucement!]!
Madame Elvire sourit et dit:

--Oh! la plaisante aventure!

Enfin nous voici chez le ca�d de Thifilkouth. La porte d'une cour
int�rieure s'est referm�e sur nous. Les membres de la _kharouba_ et
quelques intimes nous entourent. Le ca�d, averti de notre arriv�e par le
t�l�graphe kabyle, s'avance pour nous saluer. C'est un petit homme
blond, d'une cinquantaine d'ann�es. Il y a de la malice et de la ruse
sur ses l�vres souriantes et dans ses yeux bleus qui clignotent. Il
s'appuie sur une canne et boite en marchant: car, l'an dernier, il est
tomb� de mulet, il s'est cass� la jambe, et l'amulette du marabout la
lui a mal remise. M. Jules lui d�bite en gentleman accompli un petit
compliment de circonstance sur l'hospitalit� des Kabyles et les
incomparables beaut�s de leur pays. Le guide traduit ces paroles
�logieuses un peu bri�vement. Bel-Kassem a faim et soif, Bel-Kassem est
fatigu�; le soleil est couch�, et Bel-Kassem voudrait manger, boire et
dormir.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Wed 24th Dec 2025, 5:04