En Kabylie by J. Vilbort


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Page 31

Il nous mena sur le haut du rempart, et nous rest�mes l�, bouche b�ante,
devant un spectacle si grandiose et si splendide qu'il d�fie toute
description. Aussi ma plume tremble-t-elle dans ma main, comme le
pinceau dans celle du rapin qui aborde sa premi�re toile.

Bel-Kassem, pourquoi ma m�moire infid�le ne retrouve-t-elle pas les
brillantes images o� tu nous peignais si bien les merveilles de ton pays
natal, �tal�es sous nos yeux? Pardonne-moi, fils des montagnes berb�res,
si le tableau que j'essaye d'en tracer est aussi p�le que ma lampe
devant ton soleil.

Toute la haute Kabylie nous appara�t, pays de la f�erie et le plus
prodigieux qu'elle ait jamais enfant�. En face de nous, � huit ou dix
lieues vers le sud, le Djurjura, en formant une courbe de l'ouest �
l'est, la tient dans son bras de pierre comme un g�ant qui enlace une
naine.

Depuis la cr�te qui couronne le fort National jusqu'au formidable
rempart en demi-cercle jet� par le souffle volcanique entre le petit
Atlas et Bougie, c'est un chaos fantastique de pitons aigus aux flancs
tordus, d�chir�s, crevass�s o� la roche calcaire alterne avec l'argile
schisteuse, et de pr�cipices verticaux, �troits et profonds, tellement
resserr�s entre les montagnes qu'� peine l'�clatante lumi�re de midi en
�claire le fond. La robe verte de ces pitons, fouillis inextricable de
champs d'orge, d'oliviers, de figuiers, de vignes et de fr�nes, semble
d�chir�e ou trou�e en beaucoup d'endroits o� la roche se montre nue.

Chacun d'eux porte � son sommet un village, et �� et l�, sur les toits
rouges, tranche la coupole blanche d'une koubba ou d'une mosqu�e. Ces
pics se dressent pour la plupart � sept, huit ou neuf cents m�tres, et
souvent la distance qui les s�pare n'�quivaut pas � la moiti� de leur
hauteur. Les demeures kabyles s'y pressent les unes contre les autres,
pench�es sur l'ab�me et se disputant le terrain horizontal.

Sur leurs d�clivit�s tourment�es rampent, comme d'�normes serpents
jaunes ou rouges, des ravins o�, en �t�, ruisselle, or et rubis
liquides, l'eau des sources vives; en hiver, les pluies et les neiges
s'y pr�cipitent: torrents ou avalanches, entra�nant dans leur chute
vertigineuse les arbres, les r�coltes en promesse, les champs m�me qui
les portaient. Alors le Kabyle, debout sur le toit de sa maison, regarde
tristement toute sa richesse s'ab�mer dans le gouffre; puis, la
tourmente pass�e, lui et les siens y descendent, et patiemment en
rapportent sur leur dos la terre nourrici�re dont ils recouvrent la
pierre d�nud�e. Dans chaque endroit accessible au montagnard, fleurit un
potager, un verger, et n'y e�t-il place que pour un arbre, cet arbre s'y
�panouit. Partout o� la montagne repousse m�me le pied kabyle, s'�talent
des bouquets de fleurs multicolores parmi le gr�s calcaire et le schiste
ardois�: aub�pines, ch�vrefeuilles, �glantiers, cl�matites, absinthes,
mauves, thyms, gen�ts, laur�oles d'hiver, chardons g�ants, g�raniums
musqu�s, lauriers-roses, renoncules � grandes feuilles, menthes,
ivraies, houx, scorpiures, sauges, pavots, asphod�les, bourraches,
bruy�res arborescentes, cressons de fontaine; et � c�t� des violettes et
des marguerites, les plus �l�gantes et les plus pr�cieuses orchid�es.
Cette belle flore �panouie comme un sourire sur les asp�rit�s du rocher
aride et farouche, ces oliviers � t�te ronde, ces figuiers aux bras
sinueux, ces fr�nes au port superbe, ces moissons verdoyantes accroch�es
aux escarpements; puis, sur les sommets, dominant ces �pais massifs de
verdure et ces pierres enguirland�es, d'innombrables villages blancs et
rouges, �blouissants de lumi�re, s�par�s entre eux par des gorges
profondes et noires; enfin, la montagne g�ante, le Djurjura, appuy� sur
ses contre-forts de treize cents m�tres, �levant orgueilleusement
jusqu'au ciel sa t�te rocheuse, orn�e de c�dres et constell�e de neige:
tel est le spectacle unique qui nous ravit tous en extase. A notre
droite, le soleil � son d�clin descend derri�re les montagnes de l'ouest
qui nous masquent l'horizon. D�s que son disque a disparu sous les
cr�tes des Iraten et des Flisset, la nuit sort des vall�es; elle �tend
sur toute la Kabylie un voile bleu�tre que, par endroits, des �chapp�es
radieuses changent en une r�sille d'or. Sur leurs pitons que la nuit
escalade, les villages paraissent en feu. D�j� le pied du Djurjura
s'ab�me dans les t�n�bres; mais sa croupe n'est qu'un vaste incendie,
et, par-dessus l'embrasement de ses rochers et de ses c�dres, la neige
lui forme un turban �blouissant de blancheur. La nuit monte toujours;
bient�t, ses grandes ombres � peine transparentes, et qui s'�paississent
d'instant en instant, �teignent les feux des montagnes. Son rideau qui
passe du bleu au gris, puis au noir, enveloppe les villages. Seuls, les
plus rapproch�s de nous se dessinent encore vaguement dans la lumi�re
cr�pusculaire. De petites lueurs naissent dans l'obscurit� et brillent
comme des vers luisants: ce sont des lampes kabyles qui s'allument. Le
sombre rideau s'�tend maintenant par-dessus les plus hautes cr�tes, o�
il �touffe l'incendie. Il couvre les contre-forts du Djurjura comme une
draperie fun�raire. Mais, � magie! dans une gloire de pourpre et d'or,
le front du colosse semble d�fier le flot montant des t�n�bres... Il s'y
enfonce � son tour!

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Books | Photos | Paul Mutton | Tue 23rd Dec 2025, 0:22