En Kabylie by J. Vilbort


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Page 26

--Et c'est une injustice criante, observa M. Jules en regardant madame
Elvire.

--C'est ainsi, Monsieur, dans toutes les familles, reprit le cavalier;
aussi, quand une femme se marie, ne manque-t-elle jamais d'invoquer les
plus saints marabouts afin d'engendrer un gar�on.

--Nous arrivons chez les A�th-Adeni, fraction de la tribu des Irdjen,
une des cinq des Iraten; et, nous �tant retourn�s, des oh! et des ah!
admiratifs nous �chappent devant le tableau incomparable qui se d�roule
sous nos regards. Madame Elvire rayonne, le Philosophe r�ve, M. Jules
pleure, et moi je prends des notes; enfin, le cavalier a le sourire de
l'amour-propre satisfait, car c'est lui qui a pr�m�dit� de nous conduire
� ce point de vue. Les muletiers s'interrogent entre eux pour savoir ce
qui nous peut impressionner de la sorte.

L'immense ab�me est baign� dans un brouillard �blouissant. Ce n'est pas
de la vapeur d'eau, mais de la lumi�re condens�e. Au fond de ces ondes
transparentes qui forment comme un fleuve rayonnant entre les montagnes,
appara�t la vall�e du Sebaou, avec ses flaques d'eau, ses arbres et ses
fleurs. C'est un lit d'or enrichi de diamants, d'�meraudes et de perles.
Les grandes ombres des hauts pitons, projet�es �� et l� sur les flots
radieux, produisent des effets fantastiques; en quelques endroits o�
deux rochers verticaux forment un angle, le soleil et la nuit, en s'y
mariant, enfantent des profondeurs bleu�tres, insondables comme le ciel
et comme lui infinies. En face de nous, Tizi-Ouzou et son bordj: on les
tiendrait dans la main. Puis, les montagnes des A�th-Flisset, entre
lesquelles serpente la route d'Alger; elles rejoignent � l'horizon la
cha�ne du Petit-Atlas. A droite, l'Asif Sebaou s'enfonce dans les gorges
des _terrains friables_; � gauche, le Djurjura resplendit comme un dieu
dans sa gloire! Derri�re nous, dans un cimeti�re, des hommes et des
femmes prient accroupis. Au seuil de sa maison, un vieux Kabyle, appuy�
sur son _debouz_ [B�ton ferr�.], nous regarde d'un air farouche; une
bande de petits gar�ons effar�s, hardis et m�fiants comme des moineaux
francs, vient s'abattre � quelques pas de nous, criant _Soldis_!
_soldis_ [Des sous! des sous!]! Enfin, sur la grande route qui sillonne
les flancs de la montagne, nous apercevons, prodigieux contraste! les
poteaux et les fils du t�l�graphe. L'extr�me civilisation et l'extr�me
sauvagerie s'embrassent ici, et du fort National, au coeur de la Kabylie,
nous pourrons dire � nos amis de Paris: �Nous allons bien, et vous?� Le
sentier traverse le cimeti�re. Pourquoi ces jours entre les pierres des
tombes? Les Kabyles veulent que leurs morts jouissent comme eux de l'air
et de la lumi�re. Bient�t nous atteignons la grande route, o� des gamins
cuivr�s, beaux et nus comme l'Amour antique, se disputent nos _soldis_;
ce sont les m�mes batailles que celles des petits paysans blonds et
joufflus qui suivent en courant les diligences de l'Alsace ou de la
Normandie.

Le 2 juin 1857, vingt-cinq mille pelles, pioches, scies, haches,
second�es par deux cents feux de p�tards, livraient aux rochers des
A�th-Iraten un assaut bien plus glorieux que celui du 24 mai. Et le 23
juin, apr�s vingt-deux jours d'efforts h�ro�ques, deux pi�ces de douze,
attel�es de six chevaux, montaient de Tizi-Ouzou au plateau conquis de
Souk-el-Arba, par cette br�che que l'arm�e venait d'ouvrir � une autre
civilisation que celle du canon. Les Kabyles, soumis ou insoumis,
suivaient avec des yeux constern�s ce serpent de vingt-cinq mille m�tres
qui rampait jusqu'� leurs cr�tes inaccessibles pour y venir d�vorer
l'ind�pendance nationale. Pour les r�conforter, les marabouts leur
disaient: �Le Proph�te a suscit� les Fran�ais comme un fl�au vivant afin
de punir les crimes des Kabyles; mais, si Mahomet veut le ch�timent de
ses enfants coupables, il ne veut pas leur asservissement � des
infid�les. Voici d�j� que, du haut du ciel, Allah frappe de vertige tous
ces Roumis ameut�s par lui: pour une route inutile, voyez comme ils
jettent leur poudre aux rochers de la montagne!�

En vain, cette fois, des fanatiques s'efforcent-ils d'abuser ces hommes
na�fs et cr�dules, mais pourtant pleins de bon sens. Et lorsqu'apr�s le
14 juin, anniversaire du d�barquement des Fran�ais en Afrique, qui fut
choisi pour la pose de la premi�re pierre du fort National, un vieil
_amin_ vit sur le Souk-el-Arba des bastions sortir de terre, il
s'�cria: �Un bordj! Regardez-moi: quand un homme va mourir, il se
recueille et ferme les yeux. _Amin_ des Kabyles, je ferme les yeux, car
la Kabylie va mourir [�mile Carrey, _R�cits de Kabylie_.]!�

Vers six heures du soir, nous entrons au fort par la porte d'Alger.
Ravis du voyage, mais rompus, nous descendons de nos montures. Nous
payons nos muletiers: trois francs pour l'homme et la b�te, et un franc
de pourboire. Nous nous s�parons tr�s-satisfaits les uns des autres, et
remercions notre bon guide Ma�kara, en lui glissant une pi�ce de cinq
francs dans la main. Ce brave gar�on nous suivrait, au bout du monde.
Nous entrons dans un h�tel, le meilleur; il y en a deux. Lequel est-ce?
Je l'ai oubli�, et je ne le retrouve pas sur mes tablettes: �
ingratitude!

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Books | Photos | Paul Mutton | Mon 22nd Dec 2025, 9:46