En Kabylie by J. Vilbort


Main
- books.jibble.org



My Books
- IRC Hacks

Misc. Articles
- Meaning of Jibble
- M4 Su Doku
- Computer Scrapbooking
- Setting up Java
- Bootable Java
- Cookies in Java
- Dynamic Graphs
- Social Shakespeare

External Links
- Paul Mutton
- Jibble Photo Gallery
- Jibble Forums
- Google Landmarks
- Jibble Shop
- Free Books
- Intershot Ltd

books.jibble.org

Previous Page | Next Page

Page 20

--Les gens de la montagne n'aiment-ils pas le caf�?

--Oh! beaucoup, beaucoup; mais ils n'en boivent gu�re, et ce brave
homme, quoique plac� sur la grande route d'Alger, en d�bite � peine six
tasses dans sa journ�e.

--Et pourquoi donc?

--Parce que la tasse co�te un sou, et que pour la plupart de nous un
sou, c'est comme une pi�ce d'or pour toi, Madame.

Le _cafaoudji_ nous sert le caf� dans de petites coupes en porcelaine de
Gibraltar. Nous le trouvons exquis, et invitons � ce r�gal le cavalier
et les muletiers. Si pauvre qu'il soit, l'�tablissement a pourtant son
parasite: un Kabyle � t�te branlante, plus d�charn� encore et plus nu
que le cafetier lui-m�me; mais il n'est pas plus honteux de sa nature
que de sa mis�re. En ce pays de vraie �galit�, o� le pr�jug� de l'argent
ne gouverne pas plus que le pr�jug� de la naissance, celui qui n'a que
la terre pour lit et le ciel pour toit est estim� par les autres, comme
par lui-m�me, ce qu'il vaut. Nous offrons au vieillard du caf� et une
aum�ne qu'il accepte d'un air digne.

Alors, quittant de nouveau la route, nous gravissons les premi�res
pentes de la montagne. Le cavalier, que le moka sucr� a mis de belle
humeur, nous chante la _Chanson du marabout_.

Nous atteignons un plateau couronn� d'oliviers; c'est l'emplacement des
_Souk-et-H'ad_ (march� du dimanche) des A�th-Iraten. Nous nous y
arr�tons pour contempler un paysage qui d�fie la plume et le pinceau:
dans le fond de la vall�e, l'Asif A�ssi et l'Asif S�baou serpentent en
capricieux m�andre, ici rivi�res, l�-bas ruisseaux, ailleurs flaques
d'eaux miroitantes. A droite et � gauche, se dressent presque � pic les
montagnes des A�th-Iraten, que nous commen�ons � gravir et o� nos yeux,
�blouis par l'�clat m�tallique de la pierre, se reposent sur la robe
verte des arbres. A leur pied, entre les sables, les graviers et les
cailloux roul�s des deux rivi�res, ondulent des froments, des orges et
des foins qui ressemblent de loin � des massifs de roses. Partant,
autour de nous, resplendissent les merveilles du printemps dans un cadre
magique de lumi�res et d'ombres, violent, mais pourtant harmonieux en
ses tons heurt�s qui passent incessamment, sous le jeu des rayons
solaires, du noir de suie au blanc d'argent, ou du jaune d'or au rouge
de pourpre. Un vautour � t�te blanche plane, tant�t immobile, le bec au
vent, s'enivrant d'air, ou tant�t en qu�te d'une proie, faisant un large
circuit dans l'azur. L�-bas, au milieu d'une eau courante, c'est une
cigogne qui, appuy� sur une de ses �chasses, attend patiemment qu'Allah
lui envoie un barbeau ou une alose.

En 1857, dans les premiers jours de mai, la plaine mamelonn�e qui
descend vers Tizi-Ouzou se couvrait de tentes blanches et de cabanes en
branchages. La voix du clairon se m�lait � la voix des sources qui
bruissent en des rigoles naturelles qu'elles ont profond�ment creus�es
au flanc du rocher. Du haut de leurs pics r�put�s inaccessibles, les
A�th-Iraten consid�raient d'un oeil calme ce flot d'ennemis grossissant
de jour en jour. Des quatorze exp�ditions dirig�es contre la Kabylie
depuis 1830, aucune n'avait encore pu les atteindre. Ils se fiaient aux
murailles presque verticales que la nature avait �rig�es pour servir de
rempart � l'ind�pendance berb�re: � elles de rendre vain l'assaut des
Roumis, � eux-m�mes de changer leur audace en confusion et en d�sastre.
En se voyant si nombreux et appuy�s par tous leurs alli�s en armes, ils
ne comptaient plus leurs adversaires; ils escomptaient d�j� la victoire
et se flattaient d'affranchir � jamais, du m�me coup, toutes les �paules
kabyles. Le cavalier Ma�kara nous assure que telle �tait chez eux la
certitude du succ�s, qu'ils dormirent sur les deux oreilles dans la nuit
du 24; mais ce jour-l�, quel r�veil! Au roulement du tambour, toute
l'arm�e s'�branle: la division Yusuf au centre, les divisions MacMahon
et Renault formant les deux ailes. Elles abordent r�sol�ment les
contre-forts qui supportent le plateau culminant du _Souk-el-Arba_
[March� du vendredi.], � la fois le principal march� des A�th-Iraten et
comme le sanctuaire inviol� de leur race. C'est l� qu'il faut aller
planter sous le feu de l'ennemi le drapeau tricolore! Par quels chemins?
Il n'y en a pas. En beaucoup d'endroits, se dresse un mur vertical, et
partout ailleurs la pente est si raide qu'elle ferait h�siter les
ch�vres.

Le tir des Kabyles est plus meurtrier que celui des Arabes. Ils ne
l�chent leur coup qu'apr�s avoir bien vis�, le canon du fusil appuy�.
Les d�fenseurs de cette redoutable citadelle sont intr�pides; � ses
bastions naturels, ils ont ajout� des barricades; et si � la violence de
leur feu on peut juger qu'ils combattent par milliers, c'est � un ennemi
invisible qu'on a affaire, car il s'embusque derri�re une pierre ou
derri�re un arbre, il rampe, il bondit, et avant qu'on ait eu le temps
de lui renvoyer une balle, il a d�j� disparu. Cependant vers quatre
heures de l'apr�s-midi, refoul�s d'�tage en �tage et partout repouss�s
malgr� une d�fense h�ro�que, les plus vaillants, frapp�s de stupeur, se
retirent en d�sordre sur le plateau du Souk-el-Arba. En voyant les
Roumis vainqueurs en couronner les trois cr�tes, quelques-uns cherchent
la mort pour ne pas survivre au spectacle de leur montagne conquise.

Previous Page | Next Page


Books | Photos | Paul Mutton | Sun 21st Dec 2025, 21:30